Les rues de LLN

rue Michel Woitrin

rue: rue Michel Woitrin
canton postal: 1348
localité: Louvain-la-Neuve
description:

Woitrin

Woitrin (rue Michel)             [en réserve]

Conseil communal du (/).

Toponyme créé (toponyme non descriptif).

* Thème des figures de nos régions.

* Thème du passé universitaire.

* Thème des sciences humaines.

C’est à la demande du Conseil communal que la question s’est posée d’honorer, à travers sa toponymie, la mémoire de deux « pères fondateurs » de Louvain-la-Neuve : Édouard Massaux ( 25 janvier 2008) et Michel Woitrin ( 28 octobre 2008) [PV OL 9]. La Commission de toponymie n’y était pas favorable, rappelant que la fonction première des noms de rue n’est pas d’honorer un « héros » qui vient de mourir (pertinence en termes de mémoire ?), mais bien de contribuer l’appropriation de lieux concrets, éventuellement chargé d’histoire. Sans s’y opposer formellement (suggérant alors que l’on choisisse des voiries importantes à construire au centre ville), elle préconisait plutôt de donner ces noms à des lieus prestigieux de l’Université, par exemple à des salles de l’Aula Magna. Devant l’insistance des autorités communales, qui suggéraient une voirie proche du futur Musée, la Commission a proposé ce nom pour la voie piétonne — toujours anonyme — qui relie la « place du Coq Hardy » et la place de l’Université » [PV OL 12]. L’idée est que cette voie, courte mais large et qui ouvre la perspective entre la « place de l’Université » et le « parc de la Source » conviendrait parfaitement à un « hommage » au père fondateur : elle fait idéalement le lien entre la « place du Bia Bouquet », qu’il habitait, et la « place de l’Université », où il travaillait. Cette proposition n’a pas été retenue, la préférence allant toujours à une voirie du centre ville (PV OL 16).

* Si le nom de Michel Woitrin est universellement associé à la création de Louvain-la-Neuve (voir ci-dessous), son parcours antérieur reste souvent dans l’ombre de cette étoile : une éclipse, en quelque sorte, qui masque de sa brillance les éclats de lumière sous-jacents de son itinéraire académique antérieur. S’il nous manque encore une biographie complète de l’homme, rappelons néanmoins quelques jalons dans sa carrière.

Michel Woitrin est né à Namur au sortir de la Grande Guerre, le 5 mai 1919, sixième enfant d’une famille qui en comptera huit. Il passe sa jeunesse à Namur, où il poursuit des humanités gréco-latines chez les jésuites, au Collège Notre-Dame de la Paix (1931 à 1937). Après une candidatures en philosophie et lettres aux Facultés Notre-Dame de la Paix (1938-1939), chez les jésuites toujours, il conquiert un doctorat en droit (ancien régime) en 1942, et une licence en sciences économiques, en 1944.

C’est manifestement ce dernier domaine qui l’intéresse : avocat-stagiaire au barreau de Namur après ses études de droit, c’est à l’économie qu’il consacre ses premières publications (1944). Il commence son parcours scientifique comme assistant à l’École des sciences économiques (1945-1946), héritière (en 1941) de l’Institut de recherches économiques (fondé en 1928) et qui relève encore à l’époque de la Faculté de droit. En 1946-1947, il décroche une bourse du British Council et est admis comme research student au Queen’s College de Cambridge, où il entame une recherche sur les Problèmes d’équilibre du marché du capital.

Il entre ensuite au Service des études du Ministère des Affaires économiques comme conseiller économique (1947-1948) et à l’Organisation européenne de coopération économique à Paris comme administrateur (1948-1949), avant de rejoindre, à un moment particulièrement délicat (Question royale), l’équipe de Jean Duvieusart, à l’époque ministre des Affaires économiques, comme chef de cabinet adjoint (1949-1950). En 1950, il revient à l’Université comme chargé de cours à la Faculté des sciences économiques et sociales (qui vient de se détacher de la Faculté de droit), et plus précisément à l’Institut de recherches économiques et sociales. Cette nomination ne l’empêche pas de séjourner un semestre à l’Université d’Harvard en tant que membre belge du Harvard University International Seminar (1952-1953), d’enseigner au Collège d’Europe à Bruges (1953), et de visiter diverses universités américaines comme Fellow de la Rockefeller Foundation (1953, toujours). Promu professeur ordinaire en 1954, il orientera son enseignement vers les secteurs de l’analyse macroéconomique, de la théorie du commerce international, des problèmes économiques contemporains et de la démographie économique et sociale. C’est dans le prolongement de cet enseignement qu’il fondera et dirigera le Centre de perfectionnement dans la direction des entreprises (1955), le Groupe de recherche Marché commun (1958) et le Département démographie (1963).
Il devint secrétaire général de la section francophone de l’Université, à l’époque toujours unitaire (1963), puis administrateur général (1966), charge qu’il exercera jusqu’à son éméritat en 1984. Il fut également très actif dans les débuts de la Fondation Industrie-Université de Belgique et inspira la création de l’Institut d’administration et de gestion, aujourd’hui la Louvain School of Management.

Il n’est pas étonnant que Michel Woitrin ait été choisi dès 1962 comme secrétaire général de la section francophone de l’Université. Son parcours témoignait, dès ce moment de qualités exceptionnelles susceptibles d’en faire un « grand patron » et qui illustrent à merveille la maxime d’Antonio Gramsci : « il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ». Si Michel Woitrin était de nature optimisme, il n’en avait pas moins une intelligence « réaliste » des faits et des hommes qui lui a souvent permis d’appréhender avec lucidité les évolutions en cours et de saisir immédiatement les opportunités qu’elles offraient pour concevoir des projets volontaristes. Il a ainsi perçu avant beaucoup d’autres les tendances prometteuses de sa discipline et il a rapidement compris le caractère inéluctable, sinon du Walen buiten, du moins d’un transfert important des composantes francophones de l’Université en terres romanes. Universitaire talentueux, il fut aussi un homme d’action, combinaison plutôt rare, il faut bien le reconnaître.

Bibliographie : L’avènement d’une ville universitaire. La création de Louvain-la-Neuve. Hommage à Michel Woitrin (Publications des Archives de l’Université catholique de Louvain, 24), sous la dir. de F. Hiraux, Louvain-la-Neuve, 2009 ; La démographie en perspective. Visages futurs des sciences de la population et de leur enseignement. Hommage à Michel Woitrin (Chaire Quetelet, 84), Louvain-la-Neuve, 1985 ; M. Woitrin, The Multicultural University, dans Higher Education in Europe, t. XIII, n° 1, 1998, p. 71-75.

L. Courtois

* Il est difficile de disjoindre l’histoire de Louvain-la-Neuve et le rôle de Michel Woitrin dans cette histoire. Une étude poussée de la naissance de Louvain-la-Neuve prouve, en effet, que si la création d’un pôle urbain au sud de Bruxelles au milieu des années 1960 n’était pas incongrue, le projet de ville nouvelle, basé sur le transfert d’une université, ne tient qu’à la volonté d’un seul homme. Bien que l’idée du transfert de de la section francophone de l’Université ait été défendue par un certain nombre de personnalités chrétiennes wallonnes (Philippe le Hodey, sénateur PSC et André Oleffe, président du Mouvement ouvrier chrétien), et de professeurs (Joseph Maisin, de rénovation Wallonne, André Lagasse, futur membre du FDF et Paul Capron, conseiller scientifique), aucun de ceux-ci n’imaginaient que le transfert en Wallonie devrait être lié à la création d’une ville nouvelle. L’appui d’André Oleffe, sceptique au départ sur la réussite d’un tel défi, sera cependant essentiel. Très respecté dans tout le monde politique belge et habitant d’Ottignies, il fut un soutien puissant à l’ambitieux projet né dans la tête de Michel Woitrin.

Celui-ci part de l’idée que l’université, c’est avant tout une rencontre d’hommes créant un « milieu stimulant » car venus d’horizons divers : jeunes et vieux, enseignants, chercheurs et étudiants de l’ensemble des sciences humaines et des sciences dites exactes, intellectuels et manuels, gens d’ici et d’ailleurs. « Milieu stimulant » né aussi du brassage des universitaires avec les habitants de la cité et leurs structures administratives et politiques. Peu présents dans les années soixante, la présence des étudiants étrangers fut un apport supplémentaire des années 1970 et 1980, qui contribua à enrichir le « brasier d’âmes » dont Woitrin parle dans un article paru dans La Libre Belgique des 1er et 2 juin 1963. En septembre de la même année il rédigea une note de treize pages, intitulée Louvain, schéma de réflexion, où il parlait d’une « ville satellite au sud de Bruxelles ». Au soir de Noël 1967, il dessinait un petit croquis de la ville de ses rêves où l’on retrouvait l’idée de « cité dense » au centre, mais aussi d’autres réalités évoquées par des notes : « gare et gare bus », « accès vers zone verte », « lac », « logement étudiant », « cité jardin » et même « béguinage ». Or à ce moment aucun architecte ou urbaniste n’avait encore dessiné une seule ligne sur le plan d’une ville nouvelle future.

Il n’osera dévoiler ses ambitieux projets au Conseil académique que le 4 mars 1968 :

« Instructions générales à donner aux programmateurs :

- Concept général – Il s’agit d’étudier une cité universitaire. On choisit un parti résolument urbain (du type Louvain ou Cambridge) à l’exclusion du type campus dans la nature (du type Sart-Tilman ou Lille Annapes). Il s’agit de recréer dès le premier stade un milieu urbain avec ce que cela implique : de densité même sur une petite surface (genre béguinage moderne), de facilité de contacts humains avec des professeurs et étudiants d’autres disciplines mais aussi avec une population non universitaire ».

Sachant que ce texte était soumis à une assemblée qui dans sa totalité avait signé un document daté du 14 janvier 1968 dont le pays a retenu « Nous restons à Louvain » — ce qui fit tomber le gouvernement le 7 février 1968 —, on imagine combien Michel Woitrin a dû se battre au sein même de son Université pour faire accepter une telle révolution mentale.

Jusqu’à son éméritat, en septembre 1984, Michel Woitrin restera le « patron » de ce projet et ses successeurs ont toujours tenu à respecter l’esprit dans lequel il l’avait initié.

Bibliographie : L’avènement d’une ville universitaire. La création de Louvain-la-Neuve. Hommage à Michel Woitrin (Publications des Archives de l’Université catholique de Louvain, t. XXIV), sous la dir. de F. Hiraux, Louvain-la-Neuve, 2009 ; J.-M. Lechat, Louvain-la-Neuve. Trente années d’histoires, Louvain-la-Neuve, 2001 ; Id., Naissance de Louvain-la-Neuve. Chronique d’une aventure entrepreneuriale, Louvain-la-Neuve, 2006 ; M. Woitrin, Louvain-la-Neuve, Louvain-en-Woluwe. Le grand dessein, Gembloux, 1987.

J.-M. Lechat

→ Bia Bouquet ; Louvain-la-Neuve ; Massaux ; Source ; Université.

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