Les rues de LLN

place Blaise Pascal

place Blaise Pascal
1348
Louvain-la-Neuve

Pascal

Pascal (place Blaise) D5

Conseil communal du 26 juin 1979.

Toponyme créé (toponyme non descriptif).

* Thème du patrimoine européen et universel.

* Thème des sciences humaines.

* Pascal (1623-1662).

Né à Clermont-Ferrand, ce génie précoce, de santé fragile et de vie brève, est d’abord un scientifique — plus soucieux de correspondre avec ses pairs que de publier — et le restera jusqu’au bout. Du petit Essai pour les coniques (1640) au Traité du triangle arithmétique (1654), prélude au calcul des probabilités, ou aux recherches sur la « roulette » — courbe dessinée par un point d’une roue en progression — (1658-1659), en passant par les recherches sur le vide et la pesanteur (1654), il prospecte en mathématique comme en physique, sans dédaigner cette mécanique qui fait de lui l’inventeur de la première machine à calculer (1645), lui donnant à l’époque le meilleur de son renom. Il excellait, au départ de l’observation expérimentale, à dégager les « raisons des effets », sa rigueur d’analyse et sa force de synthèse faisant merveille.

Jeune encore, il avait fréquenté les libres penseurs d’alors, qu’on appelait les libertins. Il avait lu Montaigne, tiré du chevalier de Méré son idéal de l’honnête homme : n’infliger sa science à personne, mais savoir de tout un peu, afin d’être agréable au monde. Mais sa famille est proche des solitaires et des religieuses de Port-Royal, appelés jansénistes du nom de feu Cornelis Jansen dont l’Augustinus (1640) entendait rétablir la théologie de la grâce selon saint Augustin. D’où les deux conversions de Pascal (1646, 1654), la seconde surtout apportant un changement radical dans sa façon d’accorder la vie et la foi. On en a gardé un témoignage peu ordinaire : ce petit écrit trouvé à sa mort dans la doublure de son pourpoint, nommé par la suite le Mémorial.

Le savant aimait argumenter de façon concise et irréfutable. Il polémiquait volontiers. Les circonstances requirent ces dons au service de la foi et sous deux formes qui ne touchent à la littérature que dans la mesure où leur art d’atteindre leur public d’alors touche encore le public d’aujourd’hui.

Vers le milieu du siècle, en la France traversée de gallicanisme, la Contre-Réforme se divise. Deux factions entre autres se distinguent : les jésuites molinistes, dont la casuistique compose avec les grands ; les jansénistes, sévères défenseurs de la tradition. Le laxisme des uns s’oppose au rigorisme des autres, jugés contestataires par le pouvoir. Or la théologie du temps dispute beaucoup de la grâce et de la prédestination divine, par lesquelles Dieu sauve l’homme et sait par avance lequel sera sauvé. C’est mettre en cause et pour certains en contradiction la toute-puissance de Dieu et la liberté de l’homme. En fait, la conviction janséniste ne diffère pas en profondeur de la doctrine chrétienne. Témoin cette exhortation de Saint-Cyran, maître spirituel des jansénistes : « Prier comme si tout dépendait de Dieu, agir comme si tout dépendait de nous ». Mais si le zèle est pour Dieu, la querelle est pour les hommes.

En 1649, la Faculté de théologie de Paris — la Sorbonne — met à l’examen cinq propositions sur ce sujet, qu’on dit condamnables et tirées de l’Augustinus, pour condamner du même coup les jansénistes. En janvier 1656, les solitaires demandent à Pascal d’intervenir. Il a 32 ans. Avec leur assistance, il entreprend de mettre le débat théologique à la portée de la mondanité par la seule force de ses « petites lettres », ou plutôt fictions de lettres. Au nombre de dix-huit, elles sont diffusées sous le manteau en l’espace de quinze mois, dans un climat de polémique croissante. Ce sont Les Provinciales, appelées ainsi parce que les premières se donnaient un destinataire de province, qu’il fallait informer. Le succès fut immédiat. Les premières lettres s’en tenaient au débat sur la grâce (I à IV). Elles se donnent ensuite, pour s’en prendre aux accommodements de la Compagnie avec la morale, la forme d’un dialogue ironique avec un jésuite particulièrement naïf (lettres V à X), mais délaissent ensuite cette fiction pour s’adresser à l’ensemble des Pères, tandis que le ton monte jusqu’à l’indignation devant les atteintes au sacré, l’aggravation du laxisme, les injustices dont sont victimes les religieuses de Port-Royal. Imposture littéraire (R. Duchêne) ? Oui, si la littérature est par nature une imposture, et la fiction sans vérité. Plus profondément, il y a un tragique des Provinciales, si même Pascal n’en laisse rien paraître : elles triomphent, mais sans efficace. Pour défendre Dieu, ce maître du verbe n’a que le verbe de l’homme : il peut être injuste par passion de la justice. On en vint aux accommodements. Mais en mars 1657, il est question de faire signer aux ecclésiastiques un formulaire condamnant les cinq propositions dans Jansénius, et fin octobre, Les Provinciales sont mises à l’index.

Est-ce pour dépasser la polémique que Pascal entreprend une Apologie de la religion chrétienne, à l’intention des libertins, dont il aurait exposé le plan à ses amis jansénistes dès 1658 ? L’intention serait née en plein combat des Provinciales, la guérison, jugée miraculeuse à Port-Royal, d’une sienne filleule qui souffrait d’une fistule lacrymale (24 mars 1656), l’associant à une réflexion sur les miracles. En 1657 le projet prend plus d’ampleur, mais en 1659 une maladie de langueur entraîne l’inactivité, puis la mort. On ne trouva dans les papiers du défunt que des fragments découpés, allant du griffonnage presque illisible au développement solennel, dont l’édition de Port-Royal, fort opportunément sélective, tenta de masquer l’inachèvement en les intitulant Pensées (1670). Ils étaient pourtant constitués en liasses en partie titrées dont il fallut trois siècles à l’édition critique, sur base des deux copies peu divergentes qui en avaient été faites aussitôt, pour affirmer la valeur de classement et substituer à l’édition par rapprochements logiques d’un Brunschvicg des éditions améliorant le déchiffrage (Z. Tourneur) et surtout restituant l’ordre de Pascal selon la première copie (L. Lafuma) ou la seconde (Ph. Sellier), d’autres études s’attachant à reconstituer partiellement la chronologie de l’écriture (P. Ernst, Y. Maeda).

Peut-on dégager des Pensées la pensée de Pascal ? Lui seul l’aurait pu, par ce travail de finition, inséparable d’un art de persuader, où le portait son esprit. De l’œuvre inachevée, nul ne sait ce que l’achèvement eût retenu, eût rejeté. Mais on peut, comme le fait Jean Mesnard avec une extrême pondération, définir la nature de cette pensée. Paradoxale, on dirait aujourd’hui dialogique par intégration de la pensée adverse, mais pour concilier les contraires dans la perspective d’une vérité supérieure, elle humilie sa propre maîtrise au profit d’un ordre du cœur, vérité supérieure dont resplendissent les Écritures. Ainsi, une anthropologie sévère, ironique jusqu’au portrait à la manière de La Bruyère, aurait montré la misère de l’homme, mais afin de faire éclater en contrepartie sa grandeur, pour peu que Dieu, caché, s’en mêlât. En faisaient foi les prophètes et les évangiles.

De Pascal, certains lecteurs, de Voltaire à M. Yourcenar, ne retinrent que le « pari » : quant à savoir si Dieu existe, « il faut parier », et l’on a tout à gagner à parier que oui — recours souvent déformé. C’était oublier que l’argument était destiné aux libertins, dont les divertissements faisaient du pari monnaie courante.

L’homme de synthèse ne peut achever celle qui lui tenait le plus à cœur. Sa pensée y gagna les suggestions de l’énigme et la force du premier jet ; sa réception, des engagements et des malentendus aussi passionnés que l’œuvre elle-même ; son Dieu, un obscur rayonnement.

Bibliographie : D. Descotes, L’argumentation chez Pascal (Écrivains), Paris, 1993 ; R. Duchêne, L’imposture littéraire dans Les Provinciales de Pascal (Publications de l’Université de Provence), 2e éd. revue et augmentée, suivie des actes du colloque tenu à Marseille le 10 mars 1984, Aix-en-Provence, 1985 ; G. Ferreyrolles, Blaise Pascal et la raison du politique (Épiméthée : essais philosophiques), Paris, 1984 ; H. Gouhier, Blaise Pascal, Conversion et apologétique (Bibliothèque d’histoire de la philosophie), Paris, 1986 ; J. Mesnard, Les Pensées de Pascal, Paris, 1976 ; Id., Pascal : l’homme et l’œuvre (Connaissance des lettres, 30), Paris, 1951 ; Méthodes chez Pascal (Actes du Colloque tenu à Clermont-Ferrand, 10-13 juin 1976), éd. par H. Davidson, J. Miel, Th.M. Harrington, Paris, 1979 ; Ph. Sellier, Pascal et saint Augustin (Bibliothèque de l’évolution de l’humanité, 12), Paris, 1995.

© Patrimoine littéraire européen, sous la dir. de J.-Cl. Polet, Bruxelles, De Boeck-Université, 2010.

              

              

        

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