Le Walen buiten et la création de Louvain-la-Neuve
Louvain-la-Neuve, passeur de mémoire… Il convient alors de se rappeler ses origines, plus précisément les évènements ayant mené à sa construction, le Walen buiten. Le Walen buiten désigne les évènements qui ont conduit dans les années 1960 à la division de l’Université de Louvain établie à Leuven depuis 1425 en deux universités : la Katholieck Universiteit Leuven, néerlandophone, restée à Leuven, et l’Université Catholique de Louvain, francophone, transférée à Louvain-la-Neuve.
L’Université de Louvain était une université libre totalement indépendante de l’État et placée sous la seule autorité des évêques belges. L’enseignement s’y est longtemps fait en français ; pendant de nombreuses décénies, seul le cours de littérature flamande se faisait en néerlandais. Louvain a été néanmoins la première université belge à entamer, à partir de 1911, une politique de flamandisation progressive des cours. Cette flamandisation a été pratiquement achevée avant la Seconde Guerre mondiale. Pourtant les tensions entre les deux communautés linguistiques deviennent progressivement explosives dans les années 1960.
Malgré le fait que l’administration universitaire soit totalement bilingue, que le nombre de professeurs flamands soit en constante augmentation et que le personnel technique soit exclusivement flamand (puisque recruté sur place), un nombre croissant de Flamands avaient le sentiment que Louvain restait « une université francophone avec de nombreux cours en néerlandais ». Cette situation s’explique par l’arrogance de certains étudiants francophones imbus de leur supériorité sociale, par l’usage unique du français dans tous les organes de direction de l’Université et par la prédominance subsistante de la culture française à Louvain à une époque où la principale revendication du mouvement flamand (né dès 1840) était l’homogénéité culturelle de la Flandre.
Au cours des années 1960, le nombre d’étudiants augmente rapidement en raison de l’évolution démographique et de la démocratisation des études supérieures. Cette augmentation donne lieu à de houleuses discussions au gouvernement sur une loi permettant une expansion universitaire en dehors de la ville de Louvain. Ces discussions sont vues par le mouvement flamand comme une opportunité de réaliser son programme d’homogénéité culturelle fondée sur le droit du sol : puisqu’il était question de transférer hors de Louvain un certain nombre d’enseignements, autant réclamer l’installation en Wallonie d’une partie voire de toute la section francophone de l’Université.
Du côté francophone, dans l’ensemble très attaché à la Belgique unitaire, cette solution est ressentie comme une menace contre l’unité de l’Université catholique de Louvain (le symbole, à leurs yeux, de la Belgique unitaire et celui de l’universalité du catholicisme) et, à travers elle, du pays tout entier. La loi du 9 avril 1965 sur l’expansion universitaire autorise la partie francophone à s’installer à Woluwe-saint-Lambert (faculté de médecine) et dans le canton de Wavre (autres facultés). Ce triangle Louvain-Woluwe-Wavre met le feu aux poudres : pour les Flamands, cela ravive l’angoisse de la « tache d’huile » francophone de Bruxelles qui risque de se répandre en Brabant flamand. Bientôt, les étudiants commencent à manifester en criant « Walen Buiten » (« Les Wallons dehors »).
Peu à peu, le monde académique se divise sur la question. On fait appel au monde politique pour trouver une solution mais la division entre socio-chrétiens flamands et wallons provoque en février 1968 la chute du gouvernement suivie d’élections anticipées dont le résultat fait clairement apparaître que le principe de l’autonomie culturelle complète des deux régions du pays s’est désormais imposé en Flandre. En septembre de la même année, le plan d’expansion de la section francophone est accepté par les autorités universitaires : le transfert sera complet et la scission entre la Katholieck Universiteit Leuven (KUL) et l’Université catholique de Louvain (UCL) devient ainsi officielle.
Le Walen Buiten marque la fin d’une étape marquante du processus de reconquête de la Flandre par le mouvement flamand. Du côté wallon, s’il constitue la fin de la Belgique unitaire de 1830, il peut être vu comme une chance pour la Wallonie. Lorsqu’après des années de résistance, il est apparu que la décision d’un transfert intégral de la section francophone de l’université était devenu inévitable, on releva le défi en mettant au point un projet ambitieux : créer une véritable ville nouvelle où l’Université pourrait poursuivre, en terre wallonne, sa mission d’enseignement. La ville universitaire de Louvain-la-Neuve a pris forme sur le plateau de Lauzelle, à Ottignies, où l’Université avait acquis 150 hectares dès septembre 1966. Louvain-la-Neuve a vu le jour grâce à l’ambition de Michel Woitrin (voir notices sur La mémoire universitaire) et des hommes qu’il avait recrutés dès 1967, qui choisirent de créer une ville moderne, où l’université pourrait s’insérer dans un tissu urbain convivial favorisant les échanges interdisciplinaires. Les travaux commencent en 1969 par la construction du laboratoire de génie civile et du cyclotron. L’inauguration officielle du chantier de Louvain-la-Neuve a lieu le 2 février 1971. Le transfert complet des facultés est achevé en septembre 1979. Que l’on aime ou non la ville, Louvain-la-Neuve peut représenter pour tous les Wallons un symbole et un motif d’espérance : conséquence d’un choix imposé par la Flandre, elle manifeste la capacité de la Wallonie de relever les défis et constitue un exemple encourageant de reconversion réussie.