Qu’est-ce que la toponymie ? Pourquoi nommer les rues d’une ville ?
La toponymie est la dénomination des lieux et comprend donc aussi la désignation des noms de rue - l’odonymie. Un nom de rue est formé de deux éléments : un « déterminé » et un « déterminant ». Le « déterminé » qualifie le type d’espace public nommé : « rue », « place », « avenue », etc. Le « déterminant », qui suit le déterminé, est la partie des noms de rue par laquelle les différents espaces publiques reçoivent des noms qui les individualisent : rue « Charlemagne », place « de l’Équerre », avenue « Georges Lemaître », etc.
L’usage de créer puis d’officialiser les noms de rue s’installe à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Dans les vieilles villes, la dénomination des noms de rue s’est faite sur une longue période. Les rues ont été nommées en fonction des usages, de faits, de gestes, qui furent importants et signifiants pour les populations locales. Dans les villes récentes, comme Louvain-la-Neuve (le site a en effet été conçu comme une véritable ville et non un simple campus universitaire), la toponymie exprime non seulement la volonté de promouvoir certaines valeurs actuelles mais aussi la vision reconstituée d’un vieux patrimoine, trop souvent oublié. La toponymie apparaît donc comme un lieu privilégié de mémoire collective, dont le fonctionnement et le contenu sont malheureusement rarement explicités aux usagers. Or, à travers l’acte de nommer des lieux familiers, la communauté produit un imaginaire collectif. C’est ainsi que la toponymie de Louvain-la-Neuve rend compte des identités régionales : du folklore, des traditions populaires, de la géographie des lieux, de la langue ancienne, de l’histoire locale, etc., mais aussi de la culture européenne, voire universelle : des artistes, des guerres, des idéaux partagés, etc., qui constituent un héritage commun propre aux divers peuples européens. Par sa toponymie, la ville de Louvain-la-Neuve remplit ainsi une fonction de passeur de mémoire. Elle rend un hommage discret à la terre et aux hommes de Wallonie et, par là, peut contribuer à l’indispensable prise de conscience de la richesse de son patrimoine. Par son existence même, la ville démontre la capacité d’une région de faire face aux défis de l’avenir après les évènements du Walen buiten.
La toponymie de Louvain-la-Neuve
La gestion des noms des rues dans une localité est déterminée par la loi. C’est le Conseil communal qui est l’instance habilitée à décider de la dénomination des voies publiques, que ce soit pour donner un nom à une rue qui n’en a pas encore, ou pour changer un nom existant. Les noms sont ensuite transmis au registre national, où ils sont enregistrés.
Louvain-la-Neuve, nouvelle ville sans passé, sans défunts glorieux, sans lieux de souvenir, ne risquait-elle pas l’amnésie ? Quelle mémoire inscrire dans la toponymie d’une ville nouvelle, alors qu’elle n’a pas vécu et que le temps n’y a pas encore fait son œuvre ? Parmi les nombreuses tâches qu’implique la création d’une nouvelle ville, la désignation des futurs noms de rue n’est pas des moindres puisque la toponymie a pour première fonction, au-delà de fournir aux usagers une localisation précise, de permettre aux populations locales de s’approprier des lieux concrets.
Les noms de rue de Louvain-la-Neuve ont été choisis par le Conseil communal sur propositions de la Commission de toponymie. Cette dernière, créée par Michel Woitrin, administrateur général de l’Université au moment de la création de la ville, est constituée de spécialistes (historiens, géographes, romanistes, etc.), de délégués de l’Association des habitants et de représentants de l’Administration communale. Elle a pour mission d’élaborer une toponymie pour la nouvelle ville. Il fallait pour cela à l’époque nommer les noms de rues mais aussi les bâtiments. Dans le cas des noms de rue, la Commission de toponymie transmet ses propositions au Conseil communal à qui revient la décision (la nomenclature officielle de la commune comprend plus de 600 noms). Pour les bâtiments, qui ne relèvent pas du pouvoir communal, c’est à l’Université que revient le choix final.
La Commission a choisi d’inscrire le patrimoine wallon dans la toponymie de la cité universitaire. Étant donné qu’un grand nombre de noms devaient être créés, certains principes ont été mis au point au préalable, dont celui de respecter les toponymes existants et de récupérer, par là même, le passé du site. Par exemple, pour désigner les différents quartiers et sous-quartiers de Louvain-la-Neuve, on a choisi des noms traditionnels (Biéreau, La Baraque, Hocaille, Blocry, Lauzelle, Les Bruyères). La toponymie existante n’offrant pas assez de ressources, il a fallu en inventer, en veillant à créer des noms porteurs de sens et non de simples étiquettes administratives ayant peu de rapport avec ce qui fait la spécificité du lieu désigné. Ainsi, les toponymes anciens côtoient harmonieusement les nouveaux. Tout en se préoccupant d’une ouverture à l’universel, la Commission a adopté trois grandes orientations dans la conduite de ses travaux. À côté des noms de rues choisis, comme dans toutes les villes, en raison de l’environnement immédiat (des repères bien connus de tous ont été mis en évidence par une dénomination de type descriptif ; ainsi le « chemin du cyclotron » à Louvain-la-Neuve mène effectivement aux bâtiments des sciences nucléaires, la « rue du Collège » longe le lycée Martin V, la « place des Sports » mène au « Centre sportif de Blocry »), la Commission de toponymie a volontairement privilégié la toponymie ancienne du site, qui conserve la mémoire des campagne de nos régions, le passé universitaire, qui rappelle l’histoire « louvaniste » de l’institution avant le Walen buiten des années 1960, et d’une manière générale, les réalités et le patrimoine wallons. L’intention est que, dans tous ces noms de rue, les habitants de la nouvelle ville, originaires de toutes les régions de Wallonie, puissent retrouver quelque chose d’eux-mêmes. La Commission s’est aussi efforcée, à travers le choix des termes désignant les différents types d’espaces publics (« rue », « place », etc.), d’introduire la plus grande diversité possible, en utilisant notamment les richesses du lexique wallon ou du français régional : par exemple, « drève » (issu du moyen néerlandais dreve et qui désigne une « allée plantée d’arbre »), « pendée » (francisation du wallon pindéye « pente »), « tienne » (du wallon tiène, « versant d’une colline, côté assez raide, chemin escarpé »), … De plus, pour faciliter les repérages, les nouvelles dénominations ont été groupées par thème.