Les rues de LLN

chemin de la Licorne

chemin de la Licorne
1348
Louvain-la-Neuve

Licorne

Licorne (chemin de la)                        D6

Domaine universitaire, officialisé par le Conseil communal du 23 juin 2009.

Toponyme créé (toponyme indirectement descriptif).

*      Thème des toponymes descriptifs.

*      Thème du monde d’Hergé.

Les voiries desservant le nouveau Musée Hergé portent des noms évoquant le monde du créateur de Tintin [PV OL 7 et 8] : outre la « rue du Labrador », qui accueille le Musée au numéro 26 (adresse de Tintin à Bruxelles…), on trouve ainsi également, du côté du « boulevard du Nord » : un « chemin de la Licorne », un « chemin de Quick », un « chemin Flupke » et un « quai Ottokar ». Du côté du « parc de la Source », dédié aux jeux d’enfants traditionnels de Wallonie, quelques noms évoquent à la fois ce thème et… les jurons du capitaine Haddock : « sentier des Flibustiers » et « sentier des Pirates ».

*    Dans les aventures de Tintin, « La Licorne » désigne avant tout un bateau, le superbe trois mâts que commandait en 1698 le chevalier François de Hadoque et dont son lointain descendant, le capitaine Haddock, raconte à son ami Tintin les mésaventures qui lui sont arrivées durant son voyage vers l’Europe, deux jours après son départ de Saint-Domingue, suite à sa rencontre avec le flibustier Rackham le Rouge. Le compte rendu qu’en fait Haddock, après sa lecture des mémoires de son illustre ancêtre (Le secret de La Licorne, p. 14-26), se nourrit abondamment de la tradition du récit d’action : scènes de poursuite, canonnades, abordage, combats au sabre ou au pistolet, sans oublier les inévitables rebondissements qui, dans un premier temps, ne favorisent pas le chevalier de Hadoque, puisqu’au terme de la bataille, il se retrouve prisonnier du pirate. Sa modernité, ce récit la doit tout particulièrement à l’étonnante confusion, rendue possible par les procédés d’expression propres à la bande dessinée, entre le narrateur Haddock et l’acteur de Hadoque (cf. Le secret de La Licorne, p. 19, v. 4-6 ; p. 20, v. 3-5), ce qui sert au mieux la dynamique narrative… comme le comique du récit (cf. p. 18, v. 4-7 ; p. 20, v. 6-10). Dans un second temps, François de Hadoque retrouve l’avantage : il parvient à échapper aux flibustiers qui se sont emparés de son bateau, mais au prix du sacrifice de La Licorne qu’il fait exploser avec tous les pirates à son bord. Lors de leur expédition sur le Sirius trois siècles plus tard (Le trésor de Rackham le Rouge, p. 1-55), Haddock et Tintin, rejoints par Tournesol et les Dupond(t), retrouveront l’épave de La Licorne et en ramèneront quelques pièces (la figure de proue du navire, une croix en or, un coffret, une ancre…) qui seront finalement exposées dans la Salle de Marine du château de Moulinsart (p. 62, v. 1).

Mais le bateau La Licorne existe aussi sous une autre forme, qui est celle de trois maquettes dont François de Hadoque a légué un exemplaire à chacun de ses trois fils (Le secret de La Licorne, p. 26, v. 11). Ces trois maquettes contiennent un secret ou, plutôt, chacune en dispose en partie : un parchemin est caché dans chacun de leur grand mât et il révèle un fragment d’énigme dont la résolution complète ne peut être obtenue que par la superposition des trois parchemins à la lumière (p. 61). On nage donc en plein mystère pendant une bonne partie de cet album, d’autant qu’il n’est pas facile, pour Tintin – qui a été mis sur la piste de l’énigme par son achat d’une des trois maquettes – et le capitaine Haddock – auquel Tintin destinait initialement cette maquette – de rassembler les trois parchemins. En fait ce sont les deux albums, Le secret de La Licorne et Le trésor de Rackham le Rouge, qui nous plongent dans le meilleur de la littérature populaire. On a déjà eu l’occasion de signaler les emprunts au récit d’action, il faut y ajouter le séjour « à la Robinson » effectué par François de Hadoque sur son île déserte (Le secret de La Licorne, p. 26, v. 10 ; Le trésor de Rackham le Rouge, p. 50-54), la recherche de l’épave de La Licorne (Le secret de La Licorne, p. 62 ; Le trésor de Rackham le Rouge, p. 1-55), la prédiction du vieux marin selon laquelle cette recherche ne conduira à aucun trésor (Le trésor de Rackham le Rouge, p. 9-10)… Mais à bien relire le titre du premier de ces deux albums, Le secret de La Licorne, et à considérer les connotations symboliques qui restent encore attachées aujourd’hui à l’animal légendaire auquel réfère le second substantif, on constate que la notion de « secret » est omniprésente dans ce titre (= secret+secret ?!?), avec comme corollaire qu’il peut être légitime de se demander si d’autres significations cachées ne seraient pas dissimulées dans cette suite de deux albums ?

Dès la première vignette du Secret de La Licorne, il est question de pick-pockets et de vols à la tire. Or, c’est à un véritable festival de vols que l’on se livre dans cet album pour mettre la main sur les trois parchemins censés conduire au trésor de Rackham le Rouge. Ainsi, le parchemin que Tintin découvre dans la maquette du bateau qu’il a acheté au Vieux Marché lui est d’abord volé par Aristide Filoselle, fonctionnaire retraité de son état et collectionneur de portefeuilles à ses moments perdus (Le secret de La Licorne, p. 27, v. 5-6), avant de lui être restitué une première fois par les Dupon(d)t (p. 34, v. 3-7)… mais ensuite repris par Maxime Loiseau quand il fait enlever Tintin (p. 58, v. 4-5), et finalement récupéré une seconde fois par les mêmes Dupon(d)t (p. 60, v. 8-11) ! Quant aux deux autres parchemins, ils étaient initialement la propriété pour l’un, des frères Loiseau, qui l’avaient découvert dans la maquette de La Licorne trouvée deux ans plus tôt dans le grenier du château lors de leur achat de Moulinsart ; pour l’autre, d’Ivan Ivanovitch Sakharine, collectionneur de modèles de navires, qui possède sa maquette de La Licorne depuis dix ans… et le parchemin qu’elle contient. Un secret, qui reste cependant bien gardé, est que, pour avoir rassemblé les trois parchemins, Tintin, qui retrouve les deux qui lui manquent chez le pick-pocket Filoselle… dans le portefeuille de Maxime Loiseau (p. 59), pourrait bien avoir, à son tour, c’est-à-dire à l’exemple des frères Loiseau, joué au « volé » qui devient « voleur »… Dans cette perspective, l’échec de l’expédition du Sirius pour retrouver le trésor du pirate pourrait dès lors être interprété comme l’expiation nécessaire pour racheter cette faute héroïque. Quant au trésor lui-même, il faut d’abord rappeler que sa découverte doit beaucoup à un heureux concours de circonstances : la vente publique du château de Moulinsart (Le trésor de rackham le Rouge, p. 58, v. 7), l’intervention généreuse de Tournesol qui permet au capitaine Haddock de retrouver le château offert par Louis XIV à son ancêtre François de Hadoque (p. 58, v. 12-13 et p. 59, v. 1-5) et, enfin, l’ingéniosité de Tintin qui fait apparaître, après trois siècles de dissimulation, le trésor de Rackham le Rouge dans le globe terrestre situé aux pieds de la statue de saint Jean l’Évangéliste, dans la crypte du château (p. 60, v. 9-13 et p. 61, v. 1-7). Ensuite, si le château en question a bien retrouvé l’héritier qu’il attendait (p. 58, v. 1-3), en va-t-il de même pour ces diamants, ces perles, ces émeraudes, ces rubis, toutes ces « merveilles » volées en 1698 par le flibustier à un vaisseau… espagnol (Le secret de La Licorne, p. 21, v. 10) ? Une fois encore, la morale pourrait rester sauve. En effet, exception faite de l’explication très pragmatique proposée dans un échange du bien-nommé colloque de Moulinsart (cf. la notice « Flibustiers »), de l’usage qui aurait pu être fait de ce trésor par ses nouveaux propriétaires, il n’en sera jamais question dans la suite des aventures de Tintin. Pas de profit explicite pour un bien pas tout à fait correctement acquis ?...

Avec ce dernier commentaire, le cadrage a pris de la distance par rapport au couple d’albums Le secret de La Licorne et Le trésor de Rackham le Rouge pour envisager, si pas la totalité des aventures de Tintin, tout au moins celles qui succèdent à ce duo. L’ultime secret à provisoirement révéler, en prenant toujours pour référence ces deux albums, engage cette fois l’ensemble de l’œuvre. Un indice de cette fonction narrativement stratégique du Secret et du Trésor est fourni par leur positionnement dans la série des vingt-trois albums (achevés) : en son milieu (11e et 12e titres). L’hypothèse, qui a déjà été avancée par ailleurs, est que cette situation particulière est révélatrice d’un moment-clé. En l’occurrence, d’un changement clé dans la destinée héroïque de Tintin (cf. la notice « Labrador »). L’acquisition de Moulinsart y est pour beaucoup, même si le jeune héros ne s’y installera que progressivement. Haddock et Tournesol y habitent désormais et il est remarquable de constater qu’à partir des Sept boules de cristal (13e titre) jusqu’ à Tintin et les Picaros (23e titre), la motivation pour quitter le « refuge familial » de Moulinsart est moins de défendre le bon droit de par le monde (Tintin au pays des Soviets, Tintin au Congo, Tintin en Amérique…) ou de se laisser emporter par sa curiosité (L’oreille cassée, Le crabe aux pinces d’or, L’étoile mystérieuse…) que d’aller au secours de ceux qui vous sont chers, à commencer par Tournesol (cf. les 13e, 14e, 16e, 17e et 18e titres !)…

Bibliographie : A. Algoud, Tintinolâtrie, Tournai, 1987 ; Id., L’intégrale des jurons du capitaine Haddock, Bruxelles, 2004 ; J. Baetens, Hergé écrivain, Bruxelles, 1989 ; D. Barbieri, Tintin et la ligne claire, dans Tintin, Hergé et la « Belgité », Bologne, 1994, p. 261-275 ; P. Goddin, Hergé et Tintin reporters. Du Petit Vingtième au journal Tintin, Bruxelles, 1986 ; F. Hébert et R.-H. Giroud, Êtes-vous tintinologue ?, 2 vol., Tournai, 1984 ; D. Maricq, Hergé côté jardin raconte. Un dessinateur à la campagne, Bruxelles, 2011 ; B. Mouchart, À l’ombre de la ligne claire. Jacques Van Melkebeke, le clandestin de la B.D., Paris, 2002 ; B. Peeters, Le monde d’Hergé, nouv. éd., Bruxelles, 1990 ; T. Sertillanges, La vie quotidienne à Moulinsart, Paris, 1995 ; F. Soumois, Voyages au pays de Tintin. Essai d’analyse de sources, de versions, de thèmes et de structures dans l’œuvre de Hergé, 2 vol., Bruxelles, 1985-1986 ; A. Strubel, La licorne, dans Dictionnaire des mythes littéraires, sous la dir. de P. Brunel, Monaco, 1988, p. 922-929 ; H. Van Lierde et G. Fontbaré, Le colloque de Moulinsart, Bruxelles, 1983.

J.-L. Tilleuil

→      Flibustiers ; Flupke ; Labrador ; Moulinsart ; Ottokar ; Pirates ; Quick.

     

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