Les rues de LLN

ponton des Pirates

ponton des Pirates
1348
Louvain-la-Neuve

Pirates

Pirates (ponton des)            [en projet, D6]

Pirates (sentier des) D6

Domaine universitaire, officialisé par le Conseil communal du 23 juin 2009.

Toponyme créé (toponyme indirectement descriptif).

* Thème des toponymes descriptifs.

* Thème des jeux d’enfants traditionnels de Wallonie.

* Thème du monde d’Hergé.

Dans le contexte de l’installation en 2009 du Musée Hergé (au 26 de la « rue du Labrador », seule adresse connue de Tintin à Bruxelles), le « parc de la Source », en bordure duquel le Musée a été construit, a fait l’objet d’un réaménagement dont les sentiers sont dédiés aux jeux d’enfants traditionnels en Wallonie [PV OL 7 et 8]. Eu égard à la proximité du Musée, précisément, la Commission de toponymie a suggéré de combiner cette  thématique des jeux d’enfants traditionnels avec le monde d’Hergé [PV OL 7]. Ainsi, « sentier des Pirates » et « sentier des Flibustiers » n’évoquent-ils pas seulement les délassements enfantins d’autrefois, mais encore les… jurons du capitaine Haddock ! Le « ponton des Pirates » désigne une terrasse en bois qui surplombe la « Verte Voie » [PV OL 12].

* Anciennement, précise le dictionnaire, le mot « flibustier » désignait « un aventurier appartenant aux associations de pirates qui, aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, écumaient les côtes et dévastaient les possessions espagnoles en Amérique ». La signification convient parfaitement pour identifier le personnage de Rackham le Rouge et décrire sa rencontre par le chevalier François de Hadoque, l’ancêtre du compagnon de Tintin, en 1698, deux jours après avoir quitté Saint-Domingue et alors qu’il faisait voile vers l’Europe. L’affrontement entre le bateau pirate et La Licorne, « fier vaisseau […] de la flotte de Louis XIV », l’abordage qui tourne à l’avantage du chef des flibustiers, le transfert du trésor de celui-ci, volé à un vaisseau espagnol, sur La Licorne et l’épilogue de ce récit mouvementé, qui voit François de Hadoque s’échapper de son propre bateau et le faire exploser en mettant le feu à la sainte-barbe, tous ces faits, hauts en couleur, sont alternativement racontés par le capitaine et son ancêtre dans un épisode fameux du Secret de La Licorne (p. 14-26). Si l’expédition du Sirius menée par Tintin, Haddock, Tournesol et les Dupond(t) afin de retrouver le trésor de Rackham le Rouge au fond des mers s’avère un échec (Le trésor de Rackham le Rouge, p. 1-56), ce trésor entrera finalement dans les mains du lointain héritier du chevalier de Hadoque, grâce à la générosité de Tournesol qui permet au capitaine d’acheter le château de Moulinsart, anciennement propriété du chevalier, et à la découverte dudit trésor dans la crypte… dudit château ! Trésor dont, étonnamment, l’usage n’a jamais été précisé dans la suite des aventures de Tintin. À ce propos, une explication non dénuée d’humour a été proposée par un des intervenants du vrai/faux colloque de Moulinsart, dont les actes ont été publiés en 1983 : « Imaginez un peu ce que doit coûter l’entretien d’une telle bâtisse. La toiture, les châssis, les plafonds… les fils à nu et les tuyaux vieillots, l’humidité qu’il faut sans cesse combattre… Sans compter les gages de Nestor » (p. 66).

Comme le précisent la définition du dictionnaire et les commentaires que le capitaine Haddock fait de l’épisode de 1698 (Le secret de La Licorne, p. 16, v. 6), les mots « flibustier » et « pirate » ont beaucoup de choses en commun, mais le second, à la différence du premier, a gardé toute son actualité au XXe siècle pour désigner des individus sans scrupules, prêts à tout pour s’enrichir aux dépens des autres et reste très utile pour distinguer certains ennemis auxquels Tintin et Haddock ont été confrontés durant leurs aventures, que ce soit en mer, sur terre, dans les airs, voire dans la stratosphère ! Citons, entre autres, les Berabers dans Le crabe aux pinces d’or (p. 34-39), la troupe du sheik Bab El Ehr dans L’or noir (p. 19-21), l’équipage du Ramona dans Coke en stock (p. 41-45), Miller et ses agents de l’opération Ulysse, qui veulent s’emparer de la fusée du professeur Tournesol dans Objectif Lune (p. 33, v. 1-4 ; p. 50, v. 8) et dans On a marché sur la lune (p. 46, v.6 ; p. 48, v. 3-5), Rastapopoulos et ses sbires qui ont mis sur pied l’opération Carreidas dans Vol 714 pour Sydney (p. 18, v. 3 ; p. 20, v. 7-11)…

Grâce au capitaine Haddock, le mot « flibustier » n’a cependant pas tout à fait disparu du langage courant, tout au moins d’un usage linguistique particulier auquel ce personnage de bande dessinée recourt souvent et qu’il a hérité de son illustre aïeul : le juron. Il est vrai qu’il en fait une grande consommation, surtout en situation de contrariété, qu’il expérimente plus souvent qu’à son tour, vu sa grande irascibilité… Mais la pratique jurontologique haddockienne évite toujours la vulgarité. Bien plus, elle se distingue par un recours fréquent à des mots savants, qui n’acquièrent leur violence expressive que par leur contexte d’énonciation inhabituel. Il en va ainsi des « Tonnerre de Brest », « Moule à gaufres », « Catachrèse », « Rhizopode » et autre « Ectoplasme ». Le juron est à ce point fréquent dans le chef du capitaine qu’il peut servir, à l’occasion, pour le dénommer : ainsi, Abdallah l’interpelle par un insistant « Mille-sabords » (dans L’or noir, p. 60, v. 5). Ayant consacré un ouvrage aux jurons du capitaine Haddock (Le Haddock illustré), Albert Algoud l’entame par une préface au titre de circonstance, « De l’insulte considérée comme un des Beaux-Arts » et un alinéa qui décrit très bien la fonction définitoire du juron dans le cas qui nous occupe : « Haddock, comme Achille, doit l’immortalité à ses formidables emportements. Plus encore que ses exploits pourtant illustres, ce sont ses coups de gueule épiques qui font de lui le plus populaire des héros de cette mythologie du XXe siècle que sont les aventures de Tintin » (p. 9).

La fréquence du recours au juron n’épuise pas la spécificité haddockienne, pas plus que la décontextualisation lexicale. La création langagière du capitaine implique aussi la syntaxe, ce qui donne lieu à ce qu’Albert Algoud a appelé les « haddockismes » (p. 14). Parmi ceux-ci, on peut retrouver notamment un composé de « flibustier », comme « flibustier de carnaval », inauguré par François de Hadoque (Le secret de La Licorne, p. 24, v. 7) et remis au goût du jour par le capitaine trois siècles plus tard (Le trésor de Rackham le Rouge, p. 4, v. 10). Il faut cependant préciser que d’autres termes sont à l’origine de variations plus nombreuses ; c’est le cas des formules qui commencent par « bougre de… », « espèce de… » ou « extrait de… ». Indice supplémentaire de l’originalité du juron haddockien : ses effets performatifs, eux aussi variés. On se rappellera notamment des réactions du professeur Tournesol lorsque l’on s’adresse à lui en utilisant la formule de « faire le zouave » (qui le met en colère : Objectif Lune, p. 39-45, ou le réveille de son amnésie : Objectif Lune, p. 49, v. 8-14). Il arrive aussi que l’emploi d’un juron par Haddock fonctionne comme révélateur du rôle tenu par un personnage, en l’occurrence un couple de personnages, puisqu’il s’agit des Dupond(t). Van Lierde et Fontbaré rapportent dans les actes du colloque déjà cités l’échange entre les professeurs (fictifs) Mauser, Pirinne et Krant, à propos du mot d’injure « espèces d’anacoluthes » que leur adresse le capitaine : « Oui, un mot, lui aussi superbe, d’Haddock qui, en bref, en dit long sur ce qu’il pense des Dupondt : ils brisent la construction des phrases, cela on le savait déjà, mais surtout ils rompent la continuité du récit par leurs interventions intempestives… » (p. 49).

Bibliographie : A. Algoud, Tintinolâtrie, Tournai, 1987 ; Id., L’intégrale des jurons du capitaine Haddock, Bruxelles, 2004 ; J. Baetens, Hergé écrivain, Bruxelles, 1989 ; F. Hébert et R.-H. Giroud, Êtes-vous tintinologue ?, 2 vol., Tournai, 1984 ; D. Barbieri, Tintin et la ligne claire, dans Tintin, Hergé et la « Belgité », Bologne, 1994, p. 261-275 ; P. Goddin, Hergé et Tintin reporters. Du Petit Vingtième au journal Tintin, Bruxelles, 1986 ; B. Mouchart, À l’ombre de la ligne claire. Jacques Van Melkebeke, le clandestin de la B.D., Paris, 2002 ; B. Peeters, Le monde d’Hergé, nouv. éd., Bruxelles, 1990 ; F. Soumois, Voyages au pays de Tintin. Essai d’analyse de sources, de versions, de thèmes et de structures dans l’œuvre de Hergé, 2 vol., Bruxelles, 1985-1986 ; T. Sertillanges, La vie quotidienne à Moulinsart, Paris, 1995 ; H. Van Lierde et G. Fontbaré, Le colloque de Moulinsart, Bruxelles, 1983.

J.-L. Tilleuil

→ Labrador ; Flibustiers ; Moulinsart.

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