Les rues de LLN
rue Rabelais
Rabelais
Rabelais (place) E6
Rabelais (rue) D6-E6
Rabelais (parking) [remplacé]
Conseil communal du 28 octobre 1975 (place et rue). Domaine universitaire, puis privé (parking).
Toponyme créé (toponyme non descriptif).
* Thème du patrimoine européen et universel.
* Thème des sciences humaines.
« Place Rabelais » et « rue Rabelais » célèbrent François Rabelais (1494-1553), écrivain français. Le parking souterrain qui y débouchait a été cédé en 2005 à la société Gestpark, à charge pour elle de les exploiter dans les mêmes conditions que ceux de « L’Esplanade ». Dans le contexte de cette reprise, les trois parkings qui desservaient la « Grand-Rue » (« Ésope », « Grand-Rue » et « Rabelais ») ont été regroupés sous ce nom.
* On sait assez peu de la vie de Rabelais (1483 [?]-1553).
Né probablement à la Devinière, à deux lieues de Chinon (Indre-et-Loire), fils d’un avocat royal, François Rabelais a sans doute appris le droit, mais ne sera jamais juriste de profession. Novice chez les Cordeliers, puis frère mineur franciscain à Fontenay-le-Comte et prêtre, il étudie la prédication et la théologie. Gagné à l’humanisme, il écrit à Guillaume Budé et, avec son compagnon Pierre Lamy, fréquente les magistrats lettrés. Mais on applique aux deux compagnons les rigueurs édictées par la Sorbonne, qui interdisait la libre étude du grec, condition d’interprétation critique du Nouveau Testament, et on leur confisque leurs livres grecs : Lamy quitte le couvent ; Rabelais obtient de passer chez les bénédictins, plus ouverts. À l’abbaye Saint-Pierre de Maillezais, il est secrétaire de Geoffroy d’Estissac, un prélat libéral qu’il suit dans ses tournées en Poitou.
Il se tourne alors vers la médecine et apostasie, c’est-à-dire revêt l’habit laïc, sans toutefois opter pour la Réforme ni quitter la condition monastique. Inscrit, en 1530, à la Faculté de Montpellier, il y donne des cours, nourris de philologie humaniste dès 1531. À la Toussaint de 1532, il entre comme médecin à l’Hôtel-Dieu de Lyon. En 1532-1533, il édite notamment Hippocrate et publie Pantagruel sous le pseudonyme anagrammatique d’Alcofribas Nasier.
Pantagruel se donne pour la continuation des Chroniques de Gargantua, un ensemble de récits populaires rattachés au Cycle arthurien. Mais seuls le début et la fin du livre — les enfances de Pantagruel et la guerre contre le roi Anarche — relèvent de la parodie d’épopée folklorique. L’originalité du roman tient à la mise en scène grotesque de personnages qui, au long d’un tour des universités françaises qu’accomplit le héros, mettent en relief quelques aspects du combat humaniste. Pantagruel y rencontre notamment Panurge, qu’il s’attache comme une espèce de bouffon et qui, au moment de la guerre contre les Anarchiens, favorisera, par ses ruses, la victoire finale.
Dès sa parution, le Pantagruel obtint un vif succès, mais il fut condamné par Calvin, et censuré par la Sorbonne en octobre 1533.
Rabelais exploite son succès : sa Pantagruéline Prognostication ironise la superstition, l’intolérance, le culte des saints et les diables, et confère toute autorité à la Sainte Parole. Ses vingt dernières années, de 1533 à 1553, sont mieux connues que les précédentes car il est devenu célèbre. Il voyage : pour accompagner ses protecteurs, pour régulariser sa situation d’Église, pour fuir les tracasseries que lui vaut son œuvre. C’est sa réputation de médecin qui lui vaut, pendant l’hiver 1533-1534, d’être secrétaire du cardinal Jean du Bellay, partant en ambassade à Rome pour le roi de France.
À la même époque, il invente à son Pantagruel un premier Livre, Gargantua. Toujours sous le même pseudonyme, il prend position, clairement cette fois, pour l’humanisme. Avec Pantagruel en effet, le public avait souvent pris la parodie de la sottise et de l’obscénité pour argent comptant. À présent, un Prologue plein de verve enseigne par la pratique comment lire entre les lignes, sans prétention ni malveillance. Et l’histoire du père, Gargantua, reprend la structure de celle du fils, mais dans une concurrence continue avec les grossières Chroniques folkloriques.
Fils de Grandgousier, Gargantua vient au monde en criant « à boire ! ». Ses années d’éducation scolastique l’abrutissent, mais, parti étudier à Paris en compagnie de son nouveau précepteur, l’humaniste Ponocrates, il échappe, grâce à celui-ci, aux extravagances de la pédagogie ancienne, devient un puits de science, d’une curiosité infatigable, et un athlète qui excelle dans les exercices de la vie militaire. Commence alors l’épopée burlesque : au pays chinonais, la guerre éclate entre les bergers de Grandgousier et les pâtissiers du seigneur de Lerné, Picrochole. Un moine audacieux, Frère Jean, trucide les soudards menaçant la vigne, mais Picrochole prend d’assaut La Roche-Clermaud, dévoilant son grand dessein : conquérir l’univers. Malgré ses propositions généreuses pour acheter la paix, Grandgousier est amené à rappeler son fils. Gargantua et ses amis se livrent alors à d’impressionnantes prouesses, tout en devisant gaiement entre deux escarmouches. Picrochole, vaincu, s’enfuit en attendant le retour des coquecigrues.
Gargantua récompense les vainqueurs en créant pour Frère Jean l’abbaye de Thélème, où, en un magnifique château de style renaissant, jeunes seigneurs et gentes demoiselles ont pour devise « Fais ce que voudras ». On découvre dans les fondations une énigme, qui peut décrire soit les tortures subies par les passionnés de l’Évangile, soit, selon Frère Jean, la bonne fatigue des passionnés de jeu de paume. Au lecteur de mettre en pratique la méthode de lecture donnée dans le Prologue…
Séjournant à la cour pontificale d’août 1535 à mai 1536, Rabelais obtient l’autorisation de reprendre l’habit de bénédictin. En juillet 1538, il est dans la maison du Roi lors de la rencontre à Aigues-Mortes avec Charles Quint. Après 1540, il fait plusieurs séjours à Turin comme médecin du vice-roi, Guillaume du Bellay, qu’il assistera dans ses derniers moments sur le chemin du retour en 1543.
En 1542, il avait remanié légèrement le texte de ses romans, mais ils figurent encore sur la liste des livres à censurer établie par la Sorbonne en 1543 et en 1544. Un privilège exceptionnellement élogieux est cependant accordé à la publication du Tiers Livre, à Paris en 1546, avec un Prologue signé Rabelais. Ce livre a pour fil conducteur l’enquête que mène Panurge pour savoir s’il sera cocu et battu, et pose les problèmes du couple en général. Lassé des débats engagés sur le sujet, Panurge propose aux compagnons de partir en croisière à la recherche du mot de la Dive Bouteille, tandis que Gargantua condamne les mariages contractés « sans le su et aveu » des parents. À Pantagruel, qui est soumis et sera bientôt marié, les dieux promettent une descendance vouée à être divinisée. En expédition hasardeuse, les voyageurs emportent une cargaison de Pantagruélion, une herbe qui symbolise l’esprit de progrès. Le Livre se conclut sur la vision des échanges économiques, dont Panurge est enthousiaste, lui qui, dans les premiers chapitres, avait fait l’éloge des dettes, système financier promettant le paradis sur terre. Pantagruel, lui, plaçait dans l’entraide charitable, et non dans le profit individuel, le véritable fondement du contrat social.
Le Tiers Livre change d’univers littéraire : s’il garde un ton joyeux et railleur, c’est le drame des rapports humains et la question de la dignité des femmes qui font son unité, et non plus le burlesque. Le Tiers Livre obtient un grand succès : même condamné par la Sorbonne, il est rapidement réédité à Paris, Lyon, Toulouse et Valence.
Cette censure pourrait expliquer que Rabelais est à Metz, de 1546 au printemps de 1547, à l’abri des poursuites, mais en détresse morale. Son Cardinal, ému par son désespoir, l’emmène encore une fois à Rome. Quand il rentre en France, c’est le cardinal Odet de Châtillon qui assure sa protection.
À Metz, Rabelais rédige le brouillon de ce qui sera le Quart Livre, dont la version définitive paraît en janvier 1552. Dans la tradition des récits de voyageurs, il développe le thème de la sociabilité, en faisant vivre une petite société dans l’espace clos d’un navire progressant de rencontres en rencontres vers une destination toujours fuyante.
L’épisode de la Tempête révèle les conduites humaines : Panurge s’abandonne à une terreur superstitieuse ; le Moine se consacre de toutes ses forces à l’action présente ; le pilote organise la manœuvre en technicien efficace ; Pantagruel participe calmement à la lutte contre vents et flots et implore solennellement Dieu Servateur ; Épistémon tire la leçon de l’aventure : l’essentiel est de remettre sa vie entre les mains du Seigneur.
Les navigateurs sont également confrontés à la puissance terrifiante de Messere Gaster. Ce monstre incarne la loi du progrès, dont toutes les inventions suscitent des nuisances, et exigent donc des inventions nouvelles pour remédier aux inconvénients des premières.
Le Livre se clôt sans que l’Oracle soit en vue. Son comique est plus vif et plus franc que celui du Tiers Livre, mais il ne revient pas aux effets étonnants provoqués par le gigantisme « populaire ». On peut y voir le chef-d’œuvre d’un Rabelais pleinement maître de son art.
Rabelais meurt vraisemblablement à Paris, en mars 1553, un an après la publication du Quart Livre ; en 1564, paraît L’Île sonante. Cette violente caricature de l’Église et des gens de loi constituera le début du Cinquième Livre. Ce roman pérégrine, comme le Quart Livre, d’île en île, toujours à la recherche de l’oracle de la Dive Bouteille. À leur dernière étape, les Compagnons s’adjoignent la Lanterne qui leur servira de guide initiatique avant de les confier à Bacbuc, Pontife des mystères de la Dive Bouteille. Dans le temple souterrain, Bacbuc fait chanter à Panurge une incantation, dont la transcription prend la figure d’un flacon ; la Fontaine bouillonne et la Bouteille profère le mystérieux Mot : Trinch. Corrigeant la sentence placée en exergue du premier Livre, la révélation finale apprend que « non rire, mais boire est le propre de l’homme… En vin est vérité cachée ».
L’authenticité de cette œuvre a toujours été mise en doute car le ton en est plus directement agressif, les transitions plates et sèches, l’allégorisme simpliste. Des études récentes suggèrent avec vraisemblance que le Cinquième Livre a été constitué à partir d’une collection de brouillons destinés aux Livres antérieurs. Certaines pages auraient pu servir à un « Quint Livre », qui aurait eu certainement une tout autre apparence que celui dont nous disposons.
L’influence de Rabelais sur la littérature et sur la pensée universelles est immense. Son langage, riche et coloré, son style, libre et truculent, ont marqué la langue française à un moment important de son développement. Indissociable de l’image que l’on se fait de la littérature française, imité, invoqué, évoqué par les écrivains de tous les pays, il continue à inspirer.
Bibliographie : M. Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance (Bibliothèque des idées), traduit du russe par A. Robel, Paris, Gallimard, 1970 ; R. Cooper, Rabelais et l’Italie (Études rabelaisiennes, 24), Genève, 1991 ; G. Defaux, Le curieux, le glorieux et la sagesse du monde dans la première moitié du XVIe siècle. L’exemple de Panurge (Ulysse, Démosthène, Empédocle) (French Forum Monographs, 34), Lexington, 1982 ; M. De Grève, L’interprétation de Rabelais au XVIe siècle (Études rabelaisiennes, 3), Genève, 1961 ; G. Demerson, Rabelais, Paris, 1991 ; D. Desrosiers-Bonin, Rabelais et l’humanisme civil (Études rabelaisiennes, 27), Genève, 1992 ; M. Huchon, Rabelais grammairien : de l’histoire du texte aux problèmes d’authenticité (Études rabelaisiennes, 16), Genève, 1981 ; M. Jeanneret, Les paroles dégelées : Rabelais (Quart Livre, 48-65), dans Littérature, t. XVII, 1975, p. 14-30 ; D. Ménager, Rabelais (En toutes lettres, 3), Paris, 1989 ; Rabelais en son demi-millénaire : actes du Colloque international de Tours, 24-29 septembre 1984 (Études rabelaisiennes, 21), éd. par J. Céard et J.-C. Margolin, Genève, 1988 ; Fr. Rigolot, Les langages de Rabelais (Études rabelaisiennes, 10), Genève, 1972 ; V.-L. Saulnier, Rabelais dans son enquête, 2 vol., Paris, 1983-1982 ; M.-A. Screech, Rabelais (Bibliothèque des idées), traduit par M.A. de Kisch, Paris, 1992 ; M.-A. Screech et S. Rawles, A New Rabelais Bibliography. Editions before 1626 (Études rabelaisiennes, 20), Genève, 1987.
© Patrimoine littéraire européen, sous la dir. de J.-Cl. Polet, Bruxelles, De Boeck-Université, 2010.