Les rues de LLN

voie Minckelers

voie Minckelers
1348
Louvain-la-Neuve

Minckelers

Minckelers (voie)                          D8-E8

Conseil communal du 17 mai 1977.

Toponyme créé (toponyme non descriptif).

*       Thème des figures de nos régions.

*       Thème du patrimoine européen et universel.

*       Thème du passé universitaire.

*       Thème des sciences exactes.

« Voie Minckeleers » (sic) célèbre en fait Jean-Pierre Minckelers, professeur de chimie à l’Université de Louvain, où il découvrit en 1773 le gaz de houille : cette découverte lui permit d’éclairer son laboratoire (situé au Collège du Faucon, où une plaque commémorative rappelle le fait), mais passa à peu près inaperçue à l’époque… Longtemps les plans de Louvain-la-Neuve ont utilisé la graphie thioise « Minckeleers », avant que la version romane, seule officielle, ne s’impose. La « voie Minckelers », qui joint la « rue Archimède » à l’« avenue Georges Lemaître », devrait prochainement être prolongée en direction d’un nouvel ensemble de logements étudiants qui se construit à proximité du « bâtiment Mercator » [PV OL 15].

*    Jan Peter Minckelers naît à Maastricht en 1748. Son père et son grand-père tenaient une officine dans cette ville. Après des humanités au collège jésuite de sa ville natale, puis un cours de dialectique à Geel, il s’inscrit en 1764 à la Faculté des arts de l’Université de Louvain. Il sort second de sa promotion, ce qui constitue une preuve de ses aptitudes. Il étudie ensuite la théologie avec l’ambition de se diriger vers une carrière ecclésiastique. Il reçoit les ordres mineurs puis le diaconat mais, en 1771, il oriente définitivement sa vie vers les sciences en choisissant de devenir professeur secondaire à la pédagogie du Faucon, où il avait lui-même été étudiant.

Ce revirement s’explique sans doute par une réforme du programme d’enseignement à la Faculté des arts qui débuta en 1764, pour s’achever en 1766. Le curriculum fut entièrement repensé et, du point de vue des sciences, sanctionna une évolution, déjà sensible depuis 1736, en faveur d’un approfondissement des matières scientifiques. Parallèlement à cette réforme, une « école de physique expérimentale » avait été financée par le gouvernement en 1754 et, bien qu’elle fût gérée conjointement par les professeurs primaires des quatre pédagogies, un gestionnaire s’était affirmé par sa compétence scientifique et ses talents d’organisateur. En 1771, Jan Frans Thijsbaert (1736-1825), professeur primaire à la pédagogie du Château, est reconnu pour son action et nommé directeur du cabinet de physique rassemblé au Vicus Artium récemment rénové par l’architecte Laurent-Benoît Dewez. Depuis quelques années déjà, Minckelers était devenu le collaborateur attitré de Thijsbaert. Son abandon des études théologiques n’est certainement pas étranger à cette nouvelle nomination de Thijsbaert, signalant clairement la ferme intention des autorités civiles du pays d’encourager l’enseignement et, dans une certaine mesure, la recherche scientifique. Quant à ce dernier volet de l’activité menée à l’« école de physique expérimentale », le résultat le plus remarquable est la découverte en 1783 du gaz de houille, et d’un procédé simple et économique pour le produire. L’intervention directe du duc d’Arenberg fut cruciale et catalysa les recherches de Minckelers et de ses collègues, comme le soulignera la suite de la notice.

Au Vicus, Minckelers démontra la physique expérimentale pour tous les étudiants de la Faculté des arts. Il rassembla aussi une importante collection d’histoire naturelle, dont le mosasaure, « squelette de baleine » trouvé dans la montagne Saint-Pierre, près de Maastricht. Sa description, précise et objective, servira aux travaux de G. Cuvier (1769-1832) dans ses recherches sur les ossements fossiles. En chimie, il suit de loin l’évolution des travaux de Priestley (1733-1804) et des autres chimistes sur les gaz, et l’émergence de la nouvelle chimie. S’il ne prend pas position, il mentionne dans ses cours les théories en présence. Il fait de même dans le domaine de l’électricité. En 1788, il accepte une nomination de professeur dans l’université transférée à Bruxelles sur ordre de Joseph II. Les gages et les moyens financiers devaient permettre de développer l’enseignement et les recherches de façon inégalée jusqu’alors. Mais la Révolution brabançonne l’oblige à fuir et, lorsqu’en 1790 l’Université est réinstallée à Louvain dans tous ses droits et privilèges, il en est exclu au même titre que tous ceux qui avaient accepté une nomination à Bruxelles.

De retour à Maastricht, il reprend la direction de l’officine paternelle. Lorsqu’en 1798, le régime français établit une école centrale de la Meuse inférieure dans cette ville, il y est nommé professeur de chimie et de physique. En 1804, il passe l’examen de pharmacien instauré par le régime républicain. Après la courte aventure intellectuelle des écoles centrales qui sont fermées en 1802, Minckelers continue à enseigner à l’école secondaire, plus tard appelée Collège de Maastricht. Il y enseigne entre autres à J. G. Crahay (1789-1855) et Martin Maertens (1797-1863), qui seront appelés aux chaires de physique et de chimie lors de la fondation d’une université catholique à Malines en 1834. Il joue par ailleurs un rôle d’expert dans des commissions publiques, en tant que membre du jury médical du département ou de la commission pour l’introduction des poids et mesures. Il poursuit dans le même temps ses activités en histoire naturelle. Ainsi, il mène entre 1812 et 1818 une série d’observations météorologiques très précises, ainsi que des recherches sur les gisements fossiles de sa région.

En 1816, une congestion cérébrale réduit considérablement ses capacités intellectuelles. C’est aussi l’année où il est désigné comme membre de l’Académie royale des sciences que Guillaume des Pays-Bas décide de restaurer. Son état de santé l’empêcha de participer jamais aux travaux de la compagnie et il mourut à Maastricht en 1824.

La découverte du gaz de houille n’eut que peu de retentissement. Minckelers s’en servit pour éclairer la salle où il donnait ses cours. Une controverse de nature nationaliste a éclaté quant à l’invention du gaz d’éclairage. Un Français, Philippe Lebon, aurait eu l’idée en 1785 d’éclairer au moyen du gaz provenant de la distillation du bois (et non du gaz de houille). Il prend même un brevet en 1799. Il n’est pas exclu que la rumeur du succès obtenu par Minckelers ait circulé : le commanditaire lui-même, Louis Englebert d’Arenberg, a communiqué à Faujas de Saint Fond les résultats des expériences de Minckelers. En 1798, un commerçant anglais en fit usage pour éclairer quelques établissements privés. Là aussi, la diffusion des idées de Minckelers n’est pas exclue. Cette controverse mobilisa quelques savants belges, entre 1839 et 1870, à un moment crucial de la formation de la communauté scientifique nationale. Les études consacrées à la vie et aux travaux de Minckelers servirent tout autant la mémoire de l’homme que les desseins d’une communauté émergente, en quête de mythes nationaux.

Le Mémoire sur l’Air Inflammable de J. P. Minckelers est une œuvre de commande. Le duc d’Arenberg, ayant assisté le 27 août 1783 au lâcher, par le physicien Charles, d’un ballon à hydrogène, se passionna pour ces machines aérostatiques. Les vols, habités ou non, se multiplièrent, utilisant comme gaz porteur l’air chaud ou l’hydrogène. Dans le premier cas, l’air chaud est obtenu par la combustion de paille et de laine dans un fourneau, ce qui suppose un chargement de combustible suffisant pour effectuer le vol. Les vols à longue distance sont dès lors difficiles à envisager. L’autre solution consiste à utiliser un gaz plus léger que l’air, soit la solution que le physicien Charles avait expérimentée en août 1783. L’utilisation de l’hydrogène n’était pas sans danger, ainsi que le démontra l’essai du 15 juin 1784 dans lequel Pilâtre de Rozier perdit la vie. Il suffit de songer au drame des zeppelins transformés en torches.

Ayant compris combien l’air inflammable devait être manié avec précaution, c’est-à-dire loin de toute flamme, restait un autre problème à résoudre, celui de la fabrication rapide et économique d’air inflammable. La méthode habituelle par dissolution du fer dans l’acide vitriolique (acide sulfurique) est trop violente et occasionne trop de pertes étant donné la légèreté du gaz qu’il est difficile de contenir dans le ballon. Les expériences de composition et de décomposition de l’eau réalisées en grande pompe en juin 1783 donnèrent à Lavoisier et à son collaborateur Meusnier l’idée de produire l’air inflammable ou hydrogène par décomposition de l’eau. Ce n’est pas la piste suivie par les savants rassemblés par Louis-Englebert autour de ce problème. Les expériences de composition et décomposition de l’eau n’étaient pas publiées — elles ne le seront d’ailleurs jamais — et, par ailleurs, le dispositif expérimental extrêmement coûteux ne répondait pas au deuxième critère, celui de la rentabilité.

Le duc d’Arenberg pointa lui-même du doigt le combustible à envisager : la houille, si facile à trouver en abondance dans le pays de Charleroi. Après avoir essayé d’autres substances possibles, Minckelers arriva lui aussi à la conclusion que les matériaux du règne minéral étaient susceptibles de dégager du gaz plus léger que l’air, au contraire des gaz obtenus à partir de matières végétales ou animales. Plusieurs tentatives de lâcher de ballon sont organisées entre novembre 1783 et mars 1784, certaines moins réussies que d’autres. C’est dans un deuxième temps seulement que Minckelers rédige son mémoire et effectue une investigation systématique, entre le 2 janvier et le 6 juillet, si l’on en croit ses notes. À chaque essai, les gaz sont recueillis dans des récipients fermés et c’est à Thijsbaert d’estimer la masse spécifique des différents gaz extraits. Le Mémoire sur l’air inflammable n’est donc pas un rapport de travail : le duc l’a commandé à Minckelers — quitte à en peaufiner le style — lorsqu’il se fut persuadé qu’on avait trouvé là, et grâce à lui, une solution à laquelle on n’avait jamais songé auparavant ni à Paris ni ailleurs.

Bibliographie : P.A. Jaspers, J.P. Minckelers, 1748-1824, Maastricht, 1983 ; P.A.Th.M. Jaspers et J. Roegiers, Le Mémoire sur l’air inflammable de J.P. Minckelers (1748-1824), dans Lias, t. X, 1983, p. 218-252.

B. Van Tiggelen

  

Classé dans : Le Biéreau