Les rues de LLN
rue Anto-Carte
Anto-Carte
Anto-Carte (rue) [en réserve, E5]
Toponyme créé (toponyme non descriptif).
* Thème des figures de nos régions.
* Thème du patrimoine wallon.
Pour information, la « rue Anto-Carte » devrait joindre la « place du Couchant » à la « place des Peintres ». Si la « place des Peintres » a été construite, la « place du Couchant », qui devait se situer en bordure du lac, dans le prolongement de l’actuelle « Aula Magna », est restée dans les cartons et devra peut-être y rester : l’emplacement compris entre le lac et l’« Aula Magna » devrait être occupé par le nouveau musée, sans que l’on sache ce que deviendra le projet de place, dont la forme carrée est pourtant identifiable sur les berges…
* Anto-Carte (pseudonyme d’Antoine Carte), peintre et illustrateur wallon, né à Mons le 8 décembre 1886, mort à Ixelles le 13 février 1954.
C’est un artiste attachant, difficilement classable entre les courants archaïsants et plus novateurs, associant une vie intérieure intense à un caractère extraverti et ouvert sur le monde. Son père, Victor, menuisier ébéniste, descendait d’une famille d’artisans, tandis que sa mère Rosa Richard était couturière. C’est à Mons qu’il passa ses jeunes années, notamment à la rue Sans-Raison, dans la maison occupée jadis par le chansonnier Antoine Clesse († 1889). Ayant quitté les bancs de l’école à quatorze ans, il entra en apprentissage chez un voisin, le peintre décorateur François Depooter, tout en suivant des cours à l’Académie des Beaux-Arts de Mons. Vivant ensuite de petits travaux divers, il continue à suivre ces cours jusqu’en 1908. C’est vers l’âge de vingt ans qu’il adopte son pseudonyme Anto-Carte. En 1908-1909, il va continuer sa formation à l’Académie de Bruxelles. Ayant obtenu une bourse, il fait en 1912-1913 un séjour à Paris, où il élargit l’espace de ses découvertes, appréciant notamment les œuvres de Puvis de Chavannes ou de Maurice Denis. Marié en 1913 avec sa première femme Louisa Dujardin, il emménage à Uccle en 1919, puis à Ixelles. Après une époque de gêne matérielle, il commence à accéder à une certaine notoriété, comme en témoignent les quelques expositions auxquelles il participe, notamment celle du Salon d’Automne en 1923 à Paris. C’est à la suite de celle-ci qu’il est invité aux États-Unis, où il expose à Pittsburg en 1925, à Washington en 1929.
Entre-temps, il avait fondé en 1928 à La Louvière, avec le peintre Louis Buisseret, le groupe Nervia qui, actif durant plusieurs décennies, fut porteur d’une sensibilité wallonne dans les arts. À ce groupe s’associèrent des artistes comme Rodolphe Strebelle, Pierre Paulus, et, parmi les plus jeunes, Taf Wallet et Léon Navez. De 1929 à 1932, il enseigne la décoration théâtrale à la Cambre à Bruxelles. Depuis 1932, il enseigne à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (cours d’art décoratif et monumental), où il succède à son maître Constant Montald. Profondément marqué par l’échec de son mariage et par son divorce prononcé en 1933, il épouse par la suite Julia Franz, qu’il appelle Youl. En 1949 il peint le grand salon de l’abbaye d’Orval, où il avait déjà réalisé des fresques à la chapelle. Pour la basilique de Koekelberg, il crée également des vitraux inaugurés en 1952 ; mais son activité dans ce domaine est bien plus ancienne, puisqu’il avait par exemple en 1927 dessiné la verrière de l’Institut Warocqué à Mons (Morts pour la patrie) ou encore, entre 1933 et 1939, les vitraux des églises Notre-Dame de la Cambre et Saint-Philippe de Néri à Bruxelles.
Artisan appliqué, Anto-Carte donne souvent à la perfection du dessin la primauté sur la couleur. Artiste aux talents multiformes, il a excellé non seulement par ses tableaux, mais il a réalisé de nombreuses affiches, des illustrations de livres, des cartons de vitraux et de tapisseries, des décors de théâtre, sans oublier qu’il s’adonna aussi à la sculpture. Homme enjoué, malicieux, communicateur d’enthousiasmes, accordéoniste et boute-en-train, il était aussi, paradoxalement, fragile et guetté par la déprime. Il marie l’intensité intérieure et la fougue, associe le rêve à une densité religieuse voire mystique. Hennuyer enraciné dans les réalités régionales, il a prêté son concours fréquent pour créer des affiches de manifestations folkloriques, des emblèmes de sociétés, ou encore pour illustrer des revues (lettrines, titres, couvertures) ou des livres d’auteurs de la région comme Marius Renard. Peintre de la vie quotidienne et des réalités humbles (Le passeur d’eau, 1941 ; Le fossoyeur, 1918 ; L’homme à la fourche, 1924 ; Le brûleur de fanes, 1925-1930 ; L’homme au coq, 1934), il est aussi un explorateur sensible de l’intériorité mystique (Le fils prodigue, 1913 ; Déposition de croix, 1918 ; Le bon pasteur, 1930). Il associe d’ailleurs souvent ces deux sources d’inspiration, la mystique et la quotidienne ; ainsi, en mettant dans les bras d’une Marie ouvrière le corps mort de son jeune fils tué dans la mine, sa Piéta de 1918 se veut une actualisation sobre et tragique d’un vieux thème religieux.
Artiste doué, Anto-Carte reste marginal par rapport aux grands courants artistiques de son temps, bien qu’on y décèle des influences transcendées de l’Art Nouveau. Son œuvre est à la fois intemporelle et ancrée dans un lieu. Les terroirs hennuyers et wallons se reconnaissent en lui et spontanément, il dit les choses de son pays. De même que c’est par la fidélité consciencieuse à un métier qu’il atteint la grandeur de l’artiste, c’est par ses enracinements fidèles dans les réalités concrètes des terroirs qu’il atteint l’universel.
Bibliographie : Anto-Carte. Rétrospective. 1886-1954, Musée des Beaux-Arts-Mons, 21 septembre-26 novembre 1995. Centre Wallonie-Bruxelles, 13 juin-1er septembre 1996, Bruxelles, 1995 ; A. Guislain, Anto-Carte, Anvers, 1950 ; J.-P. Duchesne, J. Stiennon, Y. Randaxhe, De Roger de le Pasture à Paul Delvaux, cinq siècles de peinture en Wallonie, Bruxelles, 1988.
J. Pirotte