Les rues de LLN

passerelle des Lorrains

passerelle des Lorrains
1348
Louvain-la-Neuve

Lorrains

Lorrains (chemin des)                         E6

Lorrains (passerelle des)                       E6

Conseil communal du 28 avril 2009 (chemin).

Toponyme créé (toponyme non descriptif).

*      Thème des gentilés.

Dans le quartier du Biéreau, toute une série de toponymes évoquent les « pays » de la Wallonie, en nommant leurs habitants. À la demande des services de sécurité, tous les ponts et passerelles de Louvain-la-Neuve devraient être clairement identifiés comme tels. Au départ, la Commission avait suggéré que les passerelles prennent le nom du chemin les traversant, mais cette solution n’a pas été jugée satisfaisante [PV OL 6, 3]. Le « chemin de l’autobus », qui avait ainsi été proposé pour désigner la voirie qui joint la « voie du Roman Pays » et la « place des Doyens » en longeant la nouvelle gare des bus et qui aurait permis d’identifier la passerelle enjambant le chemin de fer à cet endroit n’a donc pas été accepté [PV OL 7, 2]. Comme le chemin (et la passerelle) étaient localisés près du quartier du Biéreau consacré aux gentilés, la Commission a alors proposé « chemin des Lorrains », mais qui n’a donc pas donné son nom à la « passerelle ».

*    Voilà un nom de rue bien équivoque dès lors qu’il y a une Lorraine belge et une Lorraine française. À coup sûr, la seconde est plus ancienne et plus connue internationalement.

Le duché de Lorraine en effet, est issu du morcellement féodal après le partage de l’empire carolingien, puis de l’émergence de principautés reconstituant des entités puissantes à partir de cet émiettement, surtout au XIVe siècle. Ainsi s’affirment le duché de Luxembourg, le comté de Namur, le comté de Hainaut… Au XVe siècle, les ducs de Bourgogne, par achats, mariages et conquêtes, rassembleront le tout au sein du duché de Bourgogne, rivalisant avec le puissant roi de France. Il n’est pas inutile de remonter aux enfants de Charlemagne puisque le mot « Lorraine » vient de la désignation de la part de Lothaire II, Lotharii regnum, en langue romane Loherrègne, puis Lorraine.

Longtemps, durant les Temps modernes, le duché de Lorraine sera un État souverain, distinct de la France et des Pays-Bas espagnols puis autrichiens (la future Belgique). Les relations entre le duché de Lorraine et la France furent alors fort mouvementées jusqu’en 1766, date où la France reçut le duché à la mort du duc Stanislas Leszczynski. Plus tard, aux XIXe-XXe siècles, cette Lorraine sera convoitée par l’Allemagne et en partie annexée à cette dernière (1871-1918 ; 1940-1945).

N’est-ce pas le destin de toutes les terres frontières d’être ainsi malmenées dans les traités de paix et, du jour au lendemain, de changer de nationalité. Ainsi au traité des Pyrénées (1659), les prévôtés de Montmédy et de Thionville passent des Pays-Bas espagnols à la France.

Et puis, il y a la Lorraine belge, dont il faut dire qu’elle est contiguë à la première. Son nom-même, ainsi que les limites de son territoire, révèlent non seulement sa jeunesse au regard de la Lorraine française, mais aussi son caractère artificiel. Elle ne peut être que postérieure à 1830, voire même à 1839, lorsque l’ancien duché de Luxembourg, devenu province (1830), est coupé en deux : le Grand-duché à l’Est, la province belge à l’Ouest (1839). Aucun texte ancien n’utilise le mot « Lorraine », si ce n’est pour désigner le duché évoqué ci-dessus. Les dialectologues diront le manque d’homogénéité caractérisant cet espace pourtant si étroit, s’étendant au sud de la ligne Muno-Attert, concaténant la « Gaume » francophone et le « Pays d’Arlon » germanophone. Une création pure et simple de géographe : vu de Bruxelles, il fallait bien donner un nom à cette terre lointaine qui n’était plus l’Ardenne, géologiquement et pédologiquement parlant.

Une lecture exclusive de l’histoire des États, de leurs souverains et de leurs institutions ferait dire que rien ne rapproche ces deux entités. L’histoire des Hommes qui les ont habitées permet au contraire d’y trouver des liens profonds et anciens.

Terres à la périphérie des grands centres du commerce international, du coup à la densité démographique faible, elles se sont adonnées toutes deux à un même type d’agriculture extensive caractérisée par ses pratiques collectives, soudant les manants entre eux ainsi qu’à leurs terroirs, jusque dans la première moitié du XIXe siècle.

Une vie quotidienne somme toute identique de part et d’autre. La frontière qui les sépare, est, paradoxalement, créatrice d’une activité commune : la fraude. Pratiquée par une population marginale sans doute, mais qui nourrit et imprègne néanmoins une mentalité et une mémoire collectives. Dès le XVIe siècle, des textes prouvent à loisir et quasi quotidiennement ces activités frauduleuses (le sel lorrain, le sel hollandais, les laines, le tabac…).

On doit insister aussi sur leurs dramatiques mésaventures communes, parce que terres frontières. C’est toujours là que se déroulent les combats meurtriers. Le lecteur pensera immédiatement aux deux grandes guerres mondiales et à Verdun (1916) en particulier. L’historien doit ajouter à la mémoire collective la grande catastrophe démographique que provoqua la « guerre de Trente ans » (1618-1648), lorsque la soldatesque amie et ennemie, comme un nuage de sauterelles, ravagea les terres et extermina les gens : à beaucoup d’endroits, deux tiers de la population y succomba. Le peintre lorrain contemporain des faits, Jacques Callot, a immortalisé ces scènes dans ses œuvres sous le titre Misères de la guerre.

Mais ce qui unit profondément des deux Lorraines, pendant cinq siècles au moins, c’est leur destin de terres « de fer et de feu » au temps de la pré-industrie fonctionnant au charbon de bois, comme au temps de la révolution industrielle avec la houille. Unies d’abord dans la folle croissance du XIXe siècle et durant les « trente glorieuses » au XXe, et unies ensuite dans la mort lente et inexorable de la sidérurgie lorraine. Il y eut dans cette histoire longue une merveilleuse symbiose entre les paysans et les ouvriers. Avant la houille, bûcherons, charbonniers, tireurs de mines, forgerons, allaient et venaient, du champ au bois, du bois au fourneau en passant par les lavoirs de mines… La révolution industrielle changea à peine la donne : puisqu’elle avait inventé la concentration des usines, les paysans et leurs fils continuèrent ce va-et-vient par train et par bus. À l’heure des pauses, trois fois par jour, ceux-ci parcouraient le grand espace lorrain pour déposer ses ouvriers-paysans.

Les fermetures successives des minières et des usines à la fin des années 1960 (Halanzy, Musson, Athus en Lorraine belge) tournèrent la page de cette longue et laborieuse histoire commune.

Une nouvelle histoire commune s’ébauche-t-elle ? L’attrait de la place financière de Luxembourg auprès des Lorrains de Belgique et de France est manifeste et provoque un nouveau type de migrations journalières des campagnes vers la ville. Alors que la Lorraine belge est une appellation purement géographique puisqu’elle n’a aucun fondement politique ou juridique, peut-être va-t-elle profiter aujourd’hui d’une volonté politique. Celle de la constitution de l’Europe des régions qui rassemble, fort « naturellement » les deux Lorraines dans un nouveau cadre dont il est difficile aujourd’hui de prédire le succès : la Grande Région « Saar-Lor-Lux », amenant la Sarre, la Lorraine, le Grand-duché de Luxembourg et la Région wallonne à conjuguer leurs efforts. Car « les problèmes économiques qu’affrontent les régions industrielles et minières en reconversion, présentes dans quatre États, y ont créé une certaine communauté d’intérêts et fait naître des projets communs ».

Bibliographie : M. Dorban, Les gaumais et leur histoire, dans Le Pays gaumais, t. XLVIII-XLIX, 1987-1988, p. 137-144 ; Id., Un aspect du commerce luxembourgeois au XVIIIe siècle : le monopole du sel lorrain, dans Annales de l’Est, 1975, p. 143-155 ; Douane, commerce et fraude dans le sud de l’espace belge et grand-ducal au XVIIIe siècle, sous la dir. de M. Dorban, avec la coll. de C. Piraux., Louvain-la-Neuve, 19XX ; L. Goffin e.a., Le Sud-Luxembourg et le déclin de la sidérurgie transfrontalière, Bruxelles, 1981 ; La Grande Région, s.l., 22 septembre 2010 (en ligne, consulté le 30 septembre 2010) ; Histoire de la Lorraine, Metz, 4 vol., 1990-1994 ; Lorraine belge (Architecture rurale de Wallonie, sous la dir. de L.-F. Genicot), Liège, 1983 ; J. Schneider, Histoire de la Lorraine (Que sais-je ? n° 450), Paris, 1951 ; L. Verhulst, La Lorraine belge (Académie royale de Belgique. Classe des lettres et des sciences morales et politiques. Mémoires. Collection in-8°, sér. 2 ; t. 11/4), Bruxelles, 1920.

M. Dorban

→      Autobus.

           

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