Les rues de LLN

place Charlemagne

place Charlemagne
1348
Louvain-la-Neuve

Charlemagne

Charlemagne (rue)                              D6

Charlemagne (place)             [abandonnée, D6]

Charlemagne (parking)                       D6

Conseil communal du 24 novembre 1992 (rue). Domaine privé (parking).

Toponyme créé (toponyme non descriptif).

*        Thème des figures de nos régions.

*        Thème du patrimoine européen et universel.

*        Thème de la construction européenne.

Les « rue » et « place Charlemagne » devaient remplacer les « rue » et « place Charnoy », pour éviter la confusion avec un toponyme plus ancien de l’entité d’Ottignies [PV 35]. Au moment de la construction du centre commercial « L’Esplanade » cependant, seule la rue a effectivement été construite. Les parkings souterrains portent le même nom. À proximité, d’autres noms évoquent l’empereur (« cour Durendal », « boucle de Roncevaux »), ou sa qualité de « père » de l’Europe (« rue de l’Union Européenne » et « rue du Traité de Rome »).

*       Une « rue Charlemagne » dans une ville universitaire ? L’association semble s’imposer à l’esprit, à partir de l’image d’un empereur qui passe, à ce que dit la chanson, pour l’inventeur des écoles... Les écoles, en réalité, existaient bien avant lui en Occident, dans les grands monastères bénédictins, ou à l’ombre des cathédrales qui formaient le noyau des villes. Il n’en est pas moins vrai que Charlemagne a été très soucieux de l’enseignement dans ses territoires, et qu’il a multiplié et réformé les écoles.

Au-delà donc de ce stéréotype de l’histoire, il est d’autres raisons qui ont pu valoir à Charlemagne l’honneur de baptiser une artère centrale de la ville. L’Europe en est une. Des années 768 à 814, son règne fait œuvre de rassemblement, à partir du royaume des Francs qu’il développe et organise avec vigueur. Restaurateur de la dignité impériale en Occident, sacré à Rome en 800, Charlemagne a été nommé dès son vivant par les poètes « père de l’Europe ». Infatigable voyageur, l’empereur l’a parcourue en tous sens, des Pyrénées aux confins du Danube, des côtes italiennes à la mer du Nord. Sans cesse en route avec sa cour, son armée et les membres de sa famille, le souverain est présent dans ses diverses terres : il conquiert, impose des liens personnels, conforte le tissu des solidarités, envoie des émissaires. Au terme, son empire englobe les territoires qui deviendront bien plus tard la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et une partie de l’Italie. Si l’on juxtapose la carte de l’Europe carolingienne lors du partage de Verdun en 843, et celle de l’Europe des Six telle qu’elle se dessine en 1951, on est frappé par la similarité des contours. Rien d’étonnant dès lors à ce que la Commission européenne siège à Bruxelles dans un édifice que l’on nomme « le Charlemagne », ou que le prix Charlemagne soit conféré annuellement à Aix-la-Chapelle à une personnalité de grand relief pour l’Europe.

D’un autre point de vue, sans doute s’est-on souvenu à Louvain-la-Neuve que Charlemagne est un homme de nos régions, issu du lignage de Pépin de Landen, Pépin de Herstal, Charles Martel et Pépin le Bref, d’une famille dont le domaine propre se situe autour de la Meuse. Herstal, au cœur du pays d’origine de la maison carolingienne, était jusqu’en 784 le palais où le roi aimait à résider aussi souvent que le permettait la situation politique du royaume. À partir de 788, lorsque le palais d’Aix devint la résidence favorite, et bientôt quasiment le centre de l’Empire, Charles continua à mener dans les forêts d’Ardenne les chasses d’automne, qui rassemblaient toute la cour dans un affrontement passionné avec la nature. Ayant pris froid lors d’une de ces chasses, il mourra le 28 janvier 814 à Aix, où la grandiose chapelle palatine témoigne de nos jours encore de la Renaissance carolingienne, véritable lieu de mémoire pour l’identité européenne.

Enfin, l’empereur est devenu rapidement une figure de légende, célébré dans les chansons de geste et les romans sous le nom de Charlemagne. De la Chanson de Roland, qui a transformé de façon mythique la défaite de Roncevaux, en passant par le « Roland furieux » de l’Arioste qui inspira Monteverdi, jusqu’au personnage bien vivant de certains théâtres de marionnettes, il a traversé les siècles dans les mémoires et l’imaginaire.

Bibliographie : Charlemagne. Œuvre, rayonnement et survivances, Aix-la-Chapelle, 1965 ; L. Falkenstein, Charlemagne et Aix-la-Chapelle, dans Byzantion, t. LXI, 1991, p. 231-289 ; R. Morrisey, L’empereur à la barbe fleurie. Charlemagne dans la mythologie et l’histoire de France, Paris, 1997 ; R. Noël, Matériaux pour découvrir Charlemagne, dans Enseigner Charlemagne, sous la dir. de J.-L. Jadoulle et P. de Theux, Louvain-la-Neuve, 1997, p. 35-44 ; P. Riche, Les Carolingiens. Une famille qui fit l’Europe, Paris, 1983 (nouv. éd. 1997) ; Id., La vie quotidienne dans l’empire carolingien, Paris, 1973 (nouv. éd. 1994).

B. Van Den Abeele

*       Fils de Pépin, dit « le Bref » et de Bertrade (mieux connue des écoliers par son surnom de Berthe-au-long-pied »), Charles, qui n’est pas encore « le Grand » (cette qualification n’apparaîtra dans son patronyme qu’en 840, bien après sa mort) aurait vu le jour en 742… ou en 747, les historiens récents optant plutôt pour la première date.

Le lieu de naissance du plus glorieux des Pipinnides est tout aussi incertain : une vingtaine de localités, tant en France qu’en Allemagne, se disputent ce privilège. Chez nous, Jupille, Liège et Herstal en revendiquent l’honneur.

Si la dernière entité mentionnée semble bien posséder quelques bons arguments allant dans ce sens, on n’obtiendra vraisemblablement jamais de confirmation ou d’infirmation définitive sur la question, et l’on devra se contenter de l’avis le plus répandu parmi ses biographes récents, selon lequel il est né « quelque part entre Meuse et Moselle ». Liège peut ainsi se dispenser de faire disparaître la statue à son effigie, œuvre de Louis Jehotte, qui se dresse au milieu du Boulevard d’Avroy depuis 1868, et c’est fort heureux : juché sur son destrier, l’empereur d’Occident indique toujours aimablement de la main la direction de la gare des Guillemins aux visiteurs étrangers égarés…

Second roi des Francs issu de la lignée de Pépin de Landen, Charlemagne appartient plus ou moins à nos régions ; il semble avoir autant apprécié la vallée inférieure de la Meuse, où sa famille possédait de grands domaines, que la forêt d’Ardenne, où il courait encore le cerf à l’âge de 67 ans.

Ceci posé, il était et resta usque ad mortem un authentique Germain, usant du dialecte des Francs ripuaires dans la conversation avec ses intimes, quitte à officialiser ses ordres en latin dans les actes publics. D’ailleurs fasciné par la langue de Virgile, il savait la maîtriser correctement, mais il peina à l’écrire, malgré de constants efforts. Ce demi-barbare (ou demi-lettré ?) s’appliqua toujours, dans la mesure des moyens de son époque, à redresser la situation de l’éducation dansles milieux de cour et les milieux d’Église. Sachant s’entourer de bons conseillers venus d’un peu partout (le Lombard Paul Diacre, l’Espagnol Théodulf, l’Anglo-Saxon Alcuin), il appuya l’expansion des ateliers d’écriture — les scriptoria — ainsi que la diffusion de la fameuse « minuscule caroline » appréciée pour sa netteté par les étudiants en paléographie. Cette amélioration relative d’une situation culturelle déplorable, encore illustrée par la construction, sous son règne, de plus de 500 églises et monastères, fut qualifiée par la suite de « renaissance carolingienne ». Encore faut-il préciser qu’elle ne survécut guère à la mort de son principal initiateur : une nouvelle vague d’invasions effaça l’essentiel de ce qui avait été laborieusement reconstruit et ne subsistent guère, comme témoins majeurs de cette éclaircie, que l’église palatine d’Aix-la-Chapelle et, à un autre niveau, l’Évangéliaire de Godescalc.

Dès son accession au trône en l’an 768, une fois éliminé un frère cadet Carloman (771), Charles usa ses jours à combattre ses ennemis à la périphérie du royaume franc. Se sentant profondément chrétien à l’aune d’une époque fruste et violente, il guerroya tour à tour contre les Saxons du bassin inférieur de l’Elbe, les Sarrazins d’Espagne, les Avars établis sur le Danube moyen, les Lombards d’Italie septentrionale, les Danois, les Slaves d’entre Elbe et Oder et, accessoirement, les Byzantins de l’actuelle Vénétie. Luttes sanglantes, souvent victorieuses, mais jamais définitives.

Autoritaire, exigeant, massacreur à l’occasion sans être vraiment sanguinaire, il eut tendance à s’appuyer de plus en plus sur la papauté et à élaborer sans en avoir toujours conscience une forme d’État chrétien reposant sur le césaropapisme. Son couronnement comme empereur par le pape, en 800, concrétisa ce rapprochement, à la vive frustration du Basileus de Byzance. La Renovatio Imperii aboutissait ainsi à l’émergence d’un nouvel « Empire chrétien » d’Occident… qui resta fort théorique. Il n’y eut ni fusion ni unité réelle entre les mondes germanique et latin, et Charles n’éprouva jamais le besoin de déclencher une croisade contre le calife de Bagdad, Haroun-al-Rachid, avec lequel il était en relations cordiales.

Trépassé le 28 janvier 814 dans sa capitale d’Aix-la-Chapelle en la 47e année de son règne, son œuvre politique lui survécut quelques dizaines d’années avant d’être perdue par des héritiers faibles ou divisés en guerres fratricides.

Mais par la grâce de ses biographes, tous gens d’Église au départ, puis, plus tard, par les chansons de geste, Charlemagne allait connaître une remarquable capacité de survie dans la conscience collective, devenant au Moyen-Âge une figure idéale de la souveraineté rayonnante (et chrétienne), sorte de Dieu-le-Père « à la barbe fleurie » n’ayant comme concurrents, dans ce registre, qu’Alexandre-le-Grand et le roi Arthur.

Mieux, son lointain « successeur », l’empereur germanique Frédéric Ier Barberousse réussissait à le faire canoniser à Aix-la-Chapelle, le 29 décembre 1165, par l’antipape Pascal III, alors qu’il était de notoriété publique chez les clercs que sa vie privée n’avait rien eu d’édifiant (quatre mariages, pas mal de concubines et 17 [?] enfants connus). Quoi qu’il en soit, son culte se répandit bientôt à travers les Allemagnes, et on l’honora à Strasbourg, Metz, Paderborn, Münster, Fulda et — quelle surprise ! — Herstal.

L’église Notre-Dame lui fut dédiée ; sa statue était visible dans le chœur, à côté du maître-autel. On l’y priait sous le nom de « sint Såle ». À la Préalle, autrefois, on fêtait la Saint-Charle-magne par un jour de bombance : c’était la date fixée pour entamer le lard du cochon abattu pour la Noël. À l’église de la Licourt, les habitants de la Préalle arrivaient en cortège lors de la grand’messe, munis chacun d’une tranche de lard qu’ils enfilaient, au passage, dans l’épée que brandissait la statue du « bienheureux ». La création de la paroisse de La Préalle, en 1856, mit un terme à la coutume.

Figure décidément polysémique, Charlemagne en vint bien plus tard, après avoir figuré comme drapeau de la « Collaboration » franco-allemande sous l’Occupation, à incarner l’Europe du Traité de Rome puis celle de l’Union européenne. Et il fut même, un temps, tenu par la IIIe République pour une sorte de saint laïc puisqu’ « il a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école »

Pourquoi pas ? Tout fait farine au bon moulin…

Bibliographie : A. Collart-Sacre, La libre seigneurie de Herstal. Son histoire, ses monuments, ses rues et ses lieus-dits, 2 vol., Liège, 1927-1937 ; I. Durand-Leguern et B. Ribemont, Charlemagne, empereur et mythe d’Occident, Paris, 2009 ; G. Minois, Charlemagne, Paris, 2010 ; R. Morrisey, L’empereur à la barbe fleurie. Charlemagne dans la mythologie et l’histoire de France, Paris, 1997 ; M. Rouche, L’empire carolingien ou l’Europe avortée, dans Les empires occidentaux de Rome à Berlin, Paris, 1997, p. 225-246.

A. Colignon

→        Ariane ; Bologne ; Charnoy ; Cheval Bayard ; Durendal ; Europe ; Monnet ; Montauban ; Roncevaux ; Traité de Rome ; Union Européenne.

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