Les rues de LLN

quai Ottokar

quai Ottokar
1348
Louvain-la-Neuve

Ottokar

Ottokar (Quai) D6

Domaine universitaire, officialisé par le Conseil communal du 23 juin 2009.

Toponyme créé (toponyme indirectement descriptif).

* Thème des toponymes descriptifs.

* Thème du monde d’Hergé.

Les voiries desservants le nouveau Musée Hergé portent des noms évoquant le monde du créateur de Tintin [PV OL 7 et 8] : outre la « rue du Labrador », qui accueille le Musée au numéro 26 (adresse de Tintin à Bruxelles…), on trouve ainsi également, du côté du « boulevard du Nord » : un « chemin de Flupke », un « chemin de la Licorne » et un « chemin de Quick ». Du côté du « parc de la source », dédié aux jeux d’enfants traditionnels de Wallonie, quelques noms évoquent les deux thèmes.

* Comme pour les mots « Licorne », « Tibet » ou encore « Quick » et « Flupke », « Ottokar » renvoie spontanément, à Louvain-la-Neuve plus qu’ailleurs — Musée Hergé oblige — , à l’œuvre du grand créateur belge de bande dessinée. Ottokar IV est un roi dont il est question dans Le sceptre d’Ottokar. « [M]onté sur le trône en 1364 », il fait figure de « véritable fondateur de la patrie syldave » (p. 21) qui est, elle, inventée par Hergé.

Dans les albums qui précèdent, Hergé a plus souvent fait voyager son héros dans des pays au nom bien réel : Russie Soviétique, Congo, Amérique (du Nord), Inde, Chine ou Angleterre. Mais déjà avec L’oreille cassée, une république imaginaire a accueilli Tintin : San Theodoros, que le récit situe en Amérique du Sud et que le lecteur retrouvera dans l’ultime aventure complète de Tintin, Tintin et les Picaros. Les années censées séparer ces deux aventures n’ont pas amélioré la situation de cet État soumis à des révolutions permanentes qui voient s’opposer les généraux Tapioca et Alcazar. Comme tout stéréotype, cette représentation de la réalité politique sud-américaine est à la fois réductrice… et inspirée par l’instabilité chronique qui marquait à cette époque plusieurs pays de cette région du monde. Il en va de même pour la monarchie syldave et son voisin bordure, pays imaginaires mais condensant des réalités sociales et culturelles empruntées aux nations d’Europe centrale et orientale. Pour Pierre Assouline, « Hergé a puisé un peu partout dans la région : Serbie, Albanie, Monténégro, Hongrie… Une vraie macédoine » (Hergé, p. 214). Et le journaliste biographe ajoute : « L’atmosphère de conspiration à tous les coins de rue semble issue en droite ligne du recueil de reportages d’Albert Londres Les Comitadjis ou le terrorisme dans les Balkans » (ibid.). C’est bien à des conspirateurs qu’a affaire Tintin dans Le sceptre d’Ottokar, à la tête desquels il y a le mystérieux Müsstler, chef de la Garde d’Acier et membre très actif du Zyldav Zentral Revoluzionär Komitzät (Le sceptre d’Ottokar, p. 60, v. 7). Avec ses nombreux complices, dont le colonel Boris, le propre aide de camp du roi Muskar XII, il a le projet de rattacher la nation syldave à la Bordurie. Pour mener à bien leur coup d’État, il leur faut voler le sceptre royal, symbole du pouvoir, de sorte que le roi ne soit plus en état de régner (Le sceptre d’Ottokar, p. 40, v. 7), provoquer des troubles dans le pays, s’emparer des points stratégiques et favoriser l’entrée des troupes bordures qui se sont massées aux frontières avec la Syldavie (Le sceptre d’Ottokar, p. 53, v. 3-4). N’écoutant une nouvelle fois que son courage, Tintin récupère le sceptre et dénonce à temps le complot, qui échoue (Le sceptre d’Ottokar, p. 57-58). À n’en pas douter, cette huitième aventure de Tintin est le récit d’un Anschluss raté, qu’il est bien difficile de ne pas rapprocher de celui, réussi quelques mois plus tôt (en mars 1938), par l’Allemagne nazie à l’encontre de l’Autriche. Faut-il pour autant identifier la Bordurie à cette Allemagne nazie ? Pour le critique Benoît Peeters, cela ne fait aucun doute : Müsslter est « une synthèse évidente de Mussolini et d’Hitler et [ses] méthodes évoquent très largement celles utilisées par le Chancelier du Reich » (Le monde d’Hergé, p. 62). Et puis, il y a « les patronymes, les uniformes, les avions, mais aussi la technique de prise de pouvoir qui comprend une cinquième colonne infiltrée en Syldavie sous le nom de parti de la Garde d’acier » (ibid.). Pierre Assouline est plus nuancé, faisant état d’autres références possibles à donner à ces différents indices (Hergé, p. 215-217) et hésitant entre une identité fasciste ou communiste pour la Bordurie… Une hésitation qui est entretenue par le couple Van Lierde et Fontbaré qui, dans leurs actes sérieusement parodiques du colloque de Moulinsart, prêtent à l’historien Pirinne ces propos selon lesquels « [e]n tout cas, dans L’AFFAIRE TOURNESOL, il n’est plus question de Muskar. La Syldavie est passée à l’Est, au socialisme. » (Le colloque de Moulinsart, p. 24) Il est vrai que le nom même d’Ottokar invite à la prudence, mixte qu’il est de réalité historique (il a été effectivement porté par plusieurs rois de Bohême)… et de fiction syldave, comme le texte même de Hergé le souligne (Le sceptre d’Ottokar, p. 21).

Mais, que son origine soit réelle ou fictionnelle, le mot en lui-même d’« Ottokar » induit, pour un francophone, un jeu sur les mots. Nom propre, il ressemble aussi beaucoup, plus phonétiquement que graphiquement il est vrai, au mot français autocar. Hergé est coutumier de ce type de jeu. On connaît le penchant du capitaine Haddock pour les jurons et la remarquable inventivité dont il se montre capable, d’album en album, dans leur production (cf. la notice « Flibustiers »). On ne peut non plus passer sous silence le double jeu sémantique auquel invitent les noms des personnages hergéens, qu’il s’agisse de Tintin (c’est tintin !), de Haddock (ad hoc… ou le « haddock » anglais), de Tournesol (la plante qui se tourne vers le soleil), de la Castafiore (si proche de catastrophe, cataclysme, auxquels l’associe volontiers le capitaine Haddock), sans oublier les Bal El Her, Sanzot, Lampion et Szut, notamment. La créativité linguistique s’étend également aux langues exotiques, comme avec celle parlée par les Arumbayas dans L’oreille cassée, ou régionales, lorsque des paysans syldaves commentent les événements auxquels ils assistent. Jean-Marie Pierret fait observer à ce propos que « [c]’est surtout dans Le sceptre d’Ottokar que l’on rencontre des éléments wallons. […] Voyant tomber un parachute [Le sceptre d’Ottokar, p. 24, v. 6-7], un paysan dit à son compagnon : ‘Zrälùks’, ce qui est le wallon rilouke, rëlouke regarde ; et l’autre de répondre, après avoir entendu aboyer Milou : ‘Czesztot on Klebcz’, à interpréter comme c’èstot on [c’était un = wallon] clebs [= français populaire]. La suite du dialogue est [p. 25, v. 2] : ‘Czestot wzrykar nietz on waghabontz’ (ce n’était manifestement pas un vagabond, un rôdeur) ; s’y côtoient du wallon (czestot, on vagabond), du bruxellois et des procédés graphiques destinés à désorienter le lecteur et à ‘faire slave’. » (L’imaginaire wallon dans la bande dessinée, p. 18)…

Cousin linguistique du nom propre « Ottokar », le nom commun autocar ne fait pas l’objet d’un usage fréquent pour désigner un moyen de locomotion auquel recourent les héros hergéens. Thomas Sertillanges a remarqué avec humour que, si Moulinsart fut initialement desservi par un autocar, ainsi que l’atteste la première planche de la version originale du Temple du Soleil, le village s’étant développé et le trafic grandissant, « le ministère belge des Transports a décidé de faire passer une ligne de chemin de fer par Moulinsart » (La vie quotidienne à Moulinsart, p. 98). Ce que confirme la première planche… des Sept boules de cristal !?! Cela étant, l’autocar a été mis à l’honneur dans quelques séquences mémorables. On ne peut oublier la scène du sparadrap et de son voyage d’un passager à l’autre dans L’affaire Tournesol (p. 45, v. 7-24) ou celle de l’entrée des guérilleros du général Alcazar dans la ville de Tapiocapolis, déguisés en Joyeux Turlurons et réussissant un nouveau renversement de dictateur dans la république de San Theodoros (Tintin et les Picaros, p. 54-58). Quelques pages plus loin, c’en sera fini des aventures de Tintin…

Bibliographie : A. Algoud, Tintinolâtrie, Tournai, 1987 ; J. Baetens, Hergé écrivain, Bruxelles, 1989 ; F. Hébert et R.-H. Giroud, Êtes-vous tintinologue ?, 2 vol., Tournai, 1984 ; D. Barbieri, Tintin et la ligne claire, dans Tintin, Hergé et la « Belgité », Bologne, 1994, p. 261-275 ; P. Goddin, Hergé et Tintin reporters. Du Petit Vingtième au journal Tintin, Bruxelles, 1986 ; B. Mouchart, À l’ombre de la ligne claire. Jacques Van Melkebeke, le clandestin de la B.D., Paris, 2002 ; B. Peeters, Le monde d’Hergé, nouv. éd., Bruxelles, 1990 ; J.-M. Pierret, Présence des langues régionales de Wallonie dans la bande dessinée, dans L’imaginaire wallon dans la bande dessinée, sous la dir. de L. Courtois, Louvain-la-Neuve, 1991, p. 17-22 ; F. Soumois, Voyages au pays de Tintin. Essai d’analyse de sources, de versions, de thèmes et de structures dans l’œuvre de Hergé, 2 vol., Bruxelles, 1985-1986 ; T. Sertillanges, La vie quotidienne à Moulinsart, Paris, 1995 ; J.-L. Tilleuil, « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement ». La reprise du sens comme révélateur du classicisme hergéen, dans Les Lettres romanes. Création, sens, éthique : la triangulation des enjeux littéraires, sous la dir. de M. Watthee-Delmotte, n° spécial, Louvain-la-Neuve, 2000, p. 121-136 ; H. Van Lierde et G. Fontbaré, Le colloque de Moulinsart, Bruxelles, 1983.

→ Flibustiers ; Flupke ; Labrador ; Licorne ; Ottokar ; Pirates ; Quick.

J.-L. Tilleuil

  

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